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leurs ; mais, lors du renvoi de ce favori, Crabs revint en toute hâte du continent, et fut nommé presque aussitôt à un poste auprès de la personne de Sa Majesté.

Ce fut avec ce seigneur mal famé que je contractai une malencontreuse intimité, quand, novice et sans défiance, je m’établis pour la première fois en ville, après mon mariage avec lady Lyndon ; et, comme Crabs était vraiment un des garçons les plus amusants du monde, je pris un sincère plaisir dans sa compagnie, outre le désir intéressé que j’avais de cultiver la connaissance d’un homme qui approchait de si près le personnage le plus élevé du royaume.

À l’entendre, vous auriez cru qu’il ne se faisait pour ainsi dire pas de nomination à laquelle il n’eût pris part. Il m’apprit, par exemple, la destitution de Charles Fox un jour avant que le pauvre Charley lui-même en fût instruit. Il me dit quand les Howe revenaient d’Amérique, et qui devait obtenir le commandement là-bas. Pour ne pas multiplier les exemples, ce fut sur lui que je fondai mon principal espoir pour le succès de ma prétention sur la baronnie de Barryogue et la vicomté que je sollicitais.

Une des principales dépenses que cette ambition m’occasionna, fut d’équiper et d’armer une compagnie d’infanterie levée sur les domaines de Castle-Lyndon et de Hackton, et que j’offris à mon gracieux souverain, pour la campagne contre les rebelles américains. Ces troupes, magnifiquement équipées et habillées, furent embarquées à Portsmouth en 1778 ; et le patriotisme du gentilhomme qui les avait levées fut si agréable à la cour, qu’ayant été présenté par milord North, Sa Majesté daigna m’honorer de son attention particulière, et dit : « C’est bien, monsieur Lyndon, levez une autre compagnie, et partez avec elle aussi ! » Mais ceci n’était aucunement dans mes idées, comme le lecteur peut le supposer. Un homme qui a trente mille livres sterling de rente serait bien bête de risquer sa vie comme le premier mendiant venu ; et, sous ce rapport, j’ai toujours admiré la conduite de mon ami Jack Bolter, qui avait été très-actif et très-résolu comme cornette de cavalerie, et, comme tel, s’était jeté dans toutes les bagarres et les escarmouches qui s’étaient présentées ; mais juste avant la bataille de Minden, il reçut la nouvelle que son oncle, le grand fournisseur de l’armée, était mort, et lui avait laissé cinq mille livres sterling de rente. Jack, sur-le-champ, demanda son congé ; et, comme on le lui refusa à la veille d’une action générale, mon gentilhomme le prit et ne tira plus jamais un seul coup de pistolet, excepté contre