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dépit de mon indifférence, et qu’elle était toute rayonnante au moindre mot aimable qu’il m’arrivait de lui adresser. Le fait est, entre mon honoré lecteur et moi, que j’étais un des plus beaux et des plus brillants jeunes gens d’Angleterre à cette époque et que ma femme était éperdument éprise de moi ; et, quoique ce ne soit pas à moi d’en parler, comme on dit, lady Lyndon n’était pas la seule femme de qualité à Londres qui eût une opinion favorable de l’humble aventurier irlandais. Quelle énigme que ces femmes ! ai-je souvent pensé. J’ai vu les plus élégantes créatures, à Saint-James, devenir folles d’amour pour les plus grossiers et les plus vulgaires des hommes ; les femmes les plus spirituelles admirer passionnément les plus illettrés de notre sexe, et ainsi de suite. Il n’y a pas de fin aux contradictions de ces sottes créatures ; et, quoique je n’entende pas dire que je sois vulgaire ou illettré, comme les personnes mentionnées ci-dessus (je couperais la gorge à tout homme qui oserait souffler mot contre ma naissance ou mon éducation), cependant j’ai montré que lady Lyndon avait plus d’un motif de me haïr si elle le voulait bien : mais, comme le reste de son sexe stupide, elle était gouvernée par l’engouement et non par la raison ; et, jusqu’au dernier jour que nous passâmes ensemble, elle se réconciliait avec moi et me prodiguait des caresses, si je lui adressais une seule parole aimable.

« Ah ! disait-elle dans ces moments de tendresse, ah ! Redmond, si vous vouliez être toujours ainsi ! » Et, dans ces accès d’amour, elle était la créature la plus facile du monde à persuader, et eût signé l’abandon de tout son bien, si c’eût été possible. Et, je dois l’avouer, il fallait fort peu d’attentions de ma part pour lui rendre sa bonne humeur. Me promener avec elle au Mall, ou au Ranelagh, l’escorter à l’église de Saint-James, lui acheter quelque bijou ou autre petit présent, c’était assez pour l’amadouer. Telle est l’inconséquence des femmes ! Le lendemain, elle m’appelait « Monsieur Barry » probablement, et déplorait son misérable destin de s’être jamais unie à un tel monstre. C’est de ce nom qu’il lui plaisait d’appeler un des hommes les plus brillants des trois royaumes de Sa Majesté ; et j’ai lieu de croire que d’autres dames avaient de moi une opinion beaucoup plus flatteuse.

Puis elle menaçait de me quitter ; mais je la tenais par son fils qu’elle aimait à la passion, je ne sais pourquoi, car elle avait toujours négligé Bullingdon l’aîné, et n’avait pas le moindre souci de sa santé, de son bien-être ou de son éducation.

C’était donc notre jeune enfant qui formait le grand lien entre