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puis empêcher un d’entre vous de se marier, les Mémoires de Barry Lyndon, Esq., n’auront pas été écrits en vain. Non que milady fût grondeuse ou acariâtre, comme le sont certaines femmes ; j’aurais trouvé moyen de la guérir de cela : mais elle était d’une humeur poltronne, pleurnicheuse, mélancolique et hébétée, qui m’est encore plus odieuse ; et, n’importe ce qu’on faisait pour lui plaire, elle n’était jamais heureuse ni gaie. Je la laissai donc à elle-même au bout de quelque temps, et aussi parce que, comme c’était naturel dans mon cas, où un intérieur désagréable m’obligeait à chercher amusement et compagnie au dehors, elle ajoutait à tous ses autres défauts une basse et détestable jalousie ; et je ne pus de quelque temps faire la plus simple attention à toute autre femme, sans que milady Lyndon se mît à pleurer, et à se tordre les mains, et à menacer de commettre un suicide, et je ne sais quoi.

Sa mort n’aurait pas été avantageuse pour moi, comme je laisse à imaginer à toute personne douée de quelque prudence ; car ce gredin de jeune Bullingdon (qui était devenu un grand nigaud basané, et allait être ma plus grande plaie) aurait hérité de la fortune jusqu’au dernier sou, et je serais resté considérablement plus pauvre même qu’avant d’avoir épousé la veuve : car j’avais dépensé ma fortune personnelle aussi bien que le revenu de ma femme à tenir notre rang, et j’ai toujours eu trop d’honneur et de cœur pour économiser un sou de l’argent de lady Lyndon. Que ceci soit jeté à la tête de mes détracteurs, qui disent que je n’aurais pas fait tant de tort à la fortune de la famille Lyndon, si je ne m’étais pas fait une bourse secrète, et qui croient que, même dans ma pénible situation présente, j’ai des monceaux d’or en réserve quelque part, et que je pourrais faire le Crésus, si je voulais. Je n’ai jamais pris un schelling de la fortune de lady Lyndon sans le dépenser en homme d’honneur ; sans compter que je souscrivais des obligations personnelles pour avoir de l’argent qui allait tout au fonds commun. Indépendamment des hypothèques et de tout ce qui grève le bien des Lyndon, je dois moi-même au moins cent vingt mille livres, que j’ai dépensées tandis que j’étais en possession du bien de ma femme : en sorte que je puis dire, en toute justice que la fortune m’est redevable de la somme ci-dessus mentionnée.

Quoique j’aie décrit le dégoût et la répugnance profonde que j’éprouvai promptement pour lady Lyndon ; et quoique je ne prisse pas un soin tout particulier (car je suis toute franchise et tout en dehors) pour déguiser mes sentiments en général, elle avait l’âme si basse, qu’elle me poursuivait de son affection en