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Chaque poste qui nous apportait la nouvelle que la maladie de Rigby empirait était sûre de me faire donner un dîner ; à tel point que mes amis de la chasse avaient coutume de rire et de dire : « Rigby va plus mal ; il y a dîner de corporation à Hackton. »

C’était en 1776, quand éclata la guerre américaine, que j’entrai au parlement. Milord Chatham, dont la sagesse était traitée alors par son parti de surhumaine, éleva sa voix d’oracle dans la chambre des pairs contre la lutte avec l’Amérique ; et mon compatriote, M. Burke, un grand philosophe, mais un orateur qui avait l’haleine furieusement longue, était le champion des rebelles dans la chambre des Communes, où cependant, grâce au patriotisme britannique, il trouva fort peu de gens pour l’appuyer. Le vieux Tiptoff aurait juré que noir était blanc, si le grand comte le lui eût enjoint ; et il fit donner à son fils sa démission d’officier des gardes, à l’imitation de milord Pitt, qui renonça à son grade d’enseigne plutôt que de se battre contre ce qu’il appelait ses frères d’Amérique.

Mais c’était là un excès de patriotisme extrêmement peu goûté en Angleterre, où, depuis le commencement des hostilités, notre peuple haïssait cordialement les Américains, et où, quand nous apprîmes le combat de Lexington et la glorieuse victoire de Bunker’s Hill (comme nous l’appelions en ce temps-là), la nation entra dans la violente colère à laquelle elle est sujette. Il n’y eut qu’une voix après cela contre les philosophes, et le peuple fut d’un royalisme inébranlable. Ce ne fut que lors de l’augmentation de l’impôt territorial que la gentry commença à grogner un peu, mais mon parti dans l’Ouest était toujours très-fort contre les Tiptoff, et je résolus d’entrer en champ clos, et de vaincre selon mon habitude.

Le vieux marquis négligea toutes les précautions convenables qui sont requises dans une campagne parlementaire. Il signifia à la corporation et aux francs tenanciers son intention de présenter son fils, lord George, et son désir que ce dernier fût élu représentant de leur bourg ; mais c’est à peine s’il donna un verre de bière pour arroser le dévouement de ses adhérents, et moi, je n’ai pas besoin de le dire, je retins pour les miens toutes les tavernes de Tippleton.

Je ne ferai pas, après vingt autres, le récit d’une élection. J’arrachai le bourg de Tippleton des mains de lord Tiptoff et de son fils, lord George. J’eus ainsi une sorte de satisfaction sauvage à forcer ma femme, qui avait été un temps extrêmement éprise de son cousin, comme je l’ai déjà raconté, de prendre