Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.

leur apparence rustique pour être adaptés au style français le plus distingué, mon fils arrivant au genou de sa mère, et mon influence dans le pays grandissant plus encore que lui, on ne doit pas s’imaginer que je restai tout ce temps dans le Devonshire, et que je négligeai de faire des visites à Londres, et dans mes divers domaines d’Angleterre et d’Irlande.

J’allai résider sur le domaine de Trecothick et le Polwellan-Wheel, où je trouvai, au lieu de revenus, toute espèce de tracasseries et de chicanes ; je passai de là en grand apparat sur nos terres d’Irlande, où je traitai la noblesse d’un style que le lord-lieutenant lui-même ne put égaler ; je donnai la mode à Dublin (vraiment c’était un misérable et sauvage endroit en ce temps-là, et depuis il y a eu des criailleries au sujet de l’Union et des malheurs qui en sont résultés, et je ne m’explique pas les folles louanges que les patriotes irlandais se sont imaginé de faire de l’ancien ordre de choses), je donnai, dis-je, la mode à Dublin, et le mérite en est mince, car c’était alors une pauvre ville, quoi qu’en puisse dire le parti irlandais.

Je vous en ai fait la description dans un précédent chapitre. C’était la Varsovie de notre partie du monde ; il y avait là une noblesse brillante, ruinée, à demi civilisée, régnant sur une population à demi sauvage. Je dis avec intention à demi sauvage. Les habitants, dans les rues, avaient un air inculte, avec leurs longues crinières et leurs haillons. Les lieux les plus fréquentés n’étaient pas sûrs lorsqu’il ne faisait plus jour. Le collège, les bâtiments publics, et les maisons des grands, étaient magnifiques (ces dernières non terminées pour la plupart) ; mais les gens du commun étaient dans un état plus misérable qu’aucun de ceux que j’aie jamais vus. L’exercice de leur religion ne leur était accordé qu’à moitié ; leur clergé était forcé de faire son éducation hors du pays ; leur aristocratie leur était tout à fait étrangère ; il y avait une noblesse protestante ; et, dans les villes, de pauvres et insolentes corporations protestantes, avec un cortège de maires, d’aldermen et d’officiers municipaux sans le sou, qui tous figuraient dans les adresses, et avaient la voix du pays ; mais il n’y avait ni sympathie, ni communion entre les hautes et les basses classes irlandaises. Pour quelqu’un qui avait passé autant d’années que moi à l’étranger, cette différence entre les catholiques et les protestants était doublement frappante ; et, quoique aussi ferme qu’un roc dans ma propre foi, cependant je ne pouvais m’empêcher de me rappeler que mon grand-père en avait une autre, et de m’étonner qu’il y eût une différence politique si grande entre les deux. Je fus considéré,