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et (à la sourdine) Sa Révérence le docteur Simony, que mon ami Sam Foote, du Little-Theatre, fit vivre, même après que des faux et le gibet eurent abrégé la carrière du malheureux ecclésiastique.

C’était un joyeux endroit que Londres, à cette époque, il n’y a pas à dire. Me voici maintenant écrivant dans ma vieillesse goutteuse, et l’on est devenu considérablement plus moral et plus positif qu’on ne l’était à la fin du siècle dernier, alors que le monde était jeune ainsi que moi. Il y avait une différence entre un gentilhomme et un homme du commun, en ce temps-là. Nous portions alors de la soie et des broderies. À présent tout le monde a le même air de cocher, dans son foulard et son carrick, et il n’y a pas de différence extérieure entre un lord et son groom. Alors il fallait à un homme à la mode une couple d’heures pour faire sa toilette, et il pouvait faire preuve de goût en la choisissant. Quelle réunion de splendeurs à la cour du à l’Opéra, un jour de gala ! Quelles sommes d’argent se perdaient et se gagnaient à cette délicieuse table de pharaon ! Mon curricle doré et mes éblouissants piqueurs vert et or, étaient autre chose que ces équipages que vous voyez aujourd’hui à la promenade, avec leurs grooms rabougris derrière. Un homme pouvait boire quatre fois autant que peuvent le faire les poules mouillées d’à présent ; mais il est inutile de m’étendre sur ce sujet. Les gentilshommes sont morts et enterrés. La mode a tourné aux soldats et aux marins, et je deviens tout triste et maussade quand je me reporte à trente ans d’ici.

Ce chapitre-ci est consacré aux souvenirs de ce qui était pour moi une très-heureuse et brillante époque ; mais cette époque ne présente rien de bien saillant en fait d’aventures, comme c’est généralement le cas quand la vie est douce et heureuse. Il paraîtrait oiseux de remplir des pages du tableau des occupations journalières d’un homme à la mode, des belles dames qui lui souriaient, des toilettes qu’il faisait, des parties qu’il gagnait ou perdait au jeu. À présent que les jeunes gens sont occupés à couper la gorge aux Français en Espagne et en France, à coucher au bivouac, et à manger le bœuf et le biscuit du commissariat des vivres, ils ne comprendraient pas la vie que leurs ancêtres menaient. Je m’abstiendrai donc d’en dire plus long sur une époque où le prince lui-même était à la lisière, où Charles Fox n’était pas descendu au simple rôle d’homme d’État, et où Bonaparte était un misérable petit morveux dans son île natale.

Tandis que ces embellissements s’effectuaient dans mes terres, ma maison, d’ancien château normand, étant changée en élégant temple ou palais grec, mes jardins, et mes bois perdant