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tion. À parler franchement, la tournure et l’apparence de lady Lyndon n’étaient nullement propres à briller dans le monde fashionable. Elle avait beaucoup engraissé, avait la vue basse, le teint pâle, négligeait sa toilette, avait l’air maussade ; ses conversations avec moi étaient empreintes d’un stupide désespoir, entremêlé de sottes et gauches tentatives de gaieté forcée, encore plus désagréables ; aussi nos rapports étaient fort peu fréquents, et mes tentations de l’emmener dans le monde ou de lui tenir compagnie étaient nécessairement on ne peut plus faibles. Elle mettait aussi à la maison mon humeur à l’épreuve de mille manières. Lorsqu’elle était requise par moi (souvent assez rudement, je l’avoue) d’amuser la compagnie soit par sa conversation, son esprit et ses connaissances, dont elle ne manquait pas, soit en faisant de la musique, où elle était passée maîtresse, une fois sur deux elle se mettait à pleurer, et quittait la chambre. Les assistants, comme de raison, étaient disposés à en conclure que je la tyrannisais, tandis que j’étais simplement le mentor sévère et vigilant d’une sotte personne, faible d’esprit et d’un mauvais caractère.

Heureusement, elle aimait beaucoup son plus jeune fils, et par lui j’avais sur elle une prise salutaire et efficace ; car si dans un de ses accès de maussaderie ou de hauteur (cette femme était insupportablement orgueilleuse, et à plusieurs reprises, au commencement, dans nos querelles, elle osa me jeter au nez ma pauvreté originelle et ma basse naissance), si, dis-je, dans nos disputes elle prétendait avoir le dessus, revendiquer son autorité en présence de la mienne, refuser de signer les papiers que je pouvais juger nécessaires à l’administration de notre fortune si vaste et si compliquée, je faisais transporter maître Bryan à Chiswick pour une couple de jours ; et je vous garantis que Mme sa mère n’y pouvait tenir plus longtemps, et consentait à tout ce qu’il me plaisait de proposer. J’avais soin que les domestiques qui l’entouraient fussent à mes gages et non aux siens ; la bonne principale de l’enfant était sous mes ordres et non sous ceux de milady ; et c’était une très-belle, très-fraîche et très-impudente drôlesse, qui me fit faire bien des folies. Cette femme était plus maîtresse au logis que le pauvre esprit de femme à qui il appartenait. Elle faisait la loi aux domestiques ; et si je témoignais quelque attention particulière à aucune des dames qui nous faisaient visite, la coquine ne se gênait pas pour montrer sa jalousie, et trouver moyen de les envoyer paître. Le fait est qu’un homme généreux est toujours mené par une femme ou par une autre ; et celle-ci avait