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Pour beaucoup de ces ornements, je n’étais pas responsable au même degré que Cornichon, que m’envoya Lauraguais, et qui fut l’intendant de mes bâtiments pendant mon absence à l’étranger. Je lui avais donné carte blanche, et lorsqu’il tomba et se cassa la jambe, comme il décorait un théâtre dans la salle qui avait été anciennement la chapelle du château, les gens du pays pensèrent que c’était une punition du ciel. Dans sa fureur d’amélioration, cet homme osait tout. Sans mes ordres, il abattit un vieux bois hanté des corneilles, qui était sacré dans le pays et sur lequel il y avait une prophétie disant :

 Le jour où tombera le bois de la Corneille,
Hackton-Hall tombera d’une chute pareille.

Les corneilles s’en allèrent s’établir dans les bois de Tiptoff, qui étaient près de nous (qu’elles aillent à tous les diables !), et Cornichon bâtit à cet endroit un temple de Vénus et deux charmantes fontaines. Les Vénus et les Cupidons étaient l’adoration du drôle ; il voulut enlever la séparation gothique de notre banc à l’église, et la remplacer par des Cupidons ; mais le vieux docteur Huff, le recteur, sortit avec un gros bâton de chêne et adressa au malencontreux architecte un discours en latin dont il ne comprit pas un mot, mais où il lui fit entendre qu’il lui romprait les os s’il touchait du bout du doigt le saint édifice. Cornichon se plaignit de « l’abbé Huff, » comme il l’appelait « et quel abbé, grand Dieu ! ajoutait-il tout ébouriffé, un abbé avec douze enfants ! » mais j’encourageai l’église sous ce rapport, et ordonnai à Cornichon de n’exercer ses talents que sur le château.

Il y avait une magnifique collection d’ancienne vaisselle plate, à laquelle j’en ajoutai beaucoup de moderne ; une cave qui, toute bien garnie qu’elle était, demandait continuellement à être remplie, et une cuisine que je réformai complètement. Mon ami, Jack Wilkes, m’envoya un cuisinier de Mansion-House pour la cuisine anglaise, le département de la tortue et de la venaison ; j’eus un chef (qui provoqua l’Anglais, soit dit en passant, et se plaignit amèrement de ce gros cochon qui voulait se battre à coups de poing), deux aides de Paris et un confiseur italien pour officiers de bouche : toutes choses indispensables à un homme de haute condition, que ce vieil odieux pince-maille de Tiptoff, mon parent et voisin, affecta de voir avec horreur, faisant courir le bruit dans le pays que je faisais faire ma cuisine par des papistes, que je vivais de grenouilles, et, vraiment il le croyait, que je fricassais des petits enfants.