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nom et cent au mien, pour le fameux nouvel orgue que l’on construisait alors pour la cathédrale. Cette conduite, au début de ma carrière dans le comté, ne me rendit pas peu populaire ; et le chanoine tenu à résidence, qui me fit la faveur de souper avec moi à l’auberge, se retira après la sixième bouteille, faisant, au milieu de ses hoquets, les vœux les plus solennels pour le bonheur d’un si p-p-pieux gentilhomme.

Avant d’atteindre le château de Hackton, nous eûmes à faire dix milles à travers les terres des Lyndon ; le peuple était hors des maisons pour nous voir, les cloches sonnaient, le ministre et les fermiers étaient assemblés dans leurs plus beaux habits, le long de la route, et les enfants des écoles, et les laboureurs poussaient de bruyantes acclamations en l’honneur de milady. Je jetai de l’argent à ces braves gens, je m’arrêtai pour causer avec le révérend et les fermiers ; et si je trouvai que les filles du Devonshire étaient les plus belles du royaume, est-ce ma faute ? Cette remarque-ci, milady Lyndon l’eut particulièrement sur le cœur ; et je crois qu’elle fut plus irritée de mon admiration pour les joues rouges de miss Betsy Quarringdon, de Clumpton, que d’aucune de mes paroles ou actions précédentes pendant le voyage. « Ah ! ah ! ma belle dame, vous êtes jalouse ! » me dis-je, et je réfléchis, non sans un profond chagrin, avec quelle légèreté elle s’était conduite du vivant de son mari, et que ceux-là sont les plus jaloux qui donnent eux-mêmes le plus de sujets de jalousie.

Autour du village de Hackton, l’accueil fut spécialement animé ; on avait fait venir des musiciens de Plymouth, élevé des arcs de triomphe et arboré des drapeaux, surtout devant les maisons du procureur et du médecin, qui étaient tous deux employés par la famille. Il y avait plusieurs centaines de vigoureux gaillards à la grande loge qui, avec le mur du parc, borne d’un côté Hackton-Green, et d’où se prolonge, ou plutôt se prolongeait, pendant trois milles, une majestueuse avenue d’ormes, jusqu’aux fours du vieux château. J’aurais bien voulu que ce fussent des chênes, quand je les abattis en 79, car j’en aurais retiré le triple d’argent, et je ne connais rien de plus coupable que cette insouciance des ancêtres, de planter leurs terres de bois de peu de valeur, quand ils pourraient tout aussi aisément faire venir des chênes. Aussi j’ai toujours dit que le Lyndon Tête-Ronde, de Hackton, qui planta ces ormes du temps de Charles II, m’avait frustré de dix mille livres.

Les premiers jours de notre arrivée, mon temps fut agréablement occupé à recevoir les visites de la noblesse et de la gentry