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tresse aussitôt m’écrivit une lettre, de son style le plus séduisant, le plus irrésistible.

« Pourquoi, monsieur, m’écrivait-elle, me poursuivez-vous ? Pourquoi m’enlacer dans une intrigue si effroyable que mon courage y succombe, voyant qu’il est impossible d’échapper à votre redoutable, à votre diabolique adresse ? On dit que vous êtes généreux pour les autres : soyez-le aussi pour moi. Je ne connais que trop votre bravoure : exercez-la sur des hommes qui soient en état d’affronter votre épée, et non sur une pauvre faible femme, qui ne saurait vous résister. Rappelez-vous l’amitié que vous professiez jadis pour moi. Et maintenant, je vous en supplie, je vous en conjure, donnez-m’en une preuve. Démentez les calomnies que vous avez répandues contre moi, et réparez si vous le pouvez, et s’il vous reste une étincelle d’honneur, les maux que vous avez causés au cœur brisé de

« H. Lyndon. »

Que voulait dire cette lettre, si ce n’est que j’y devais répondre en personne ? Mon excellent allié me dit où je rencontrerais lady Lyndon, et, en conséquence, je la suivis et la trouvai au Panthéon. Je répétai la scène de Dublin ; je montrai combien prodigieuse était ma puissance, tout humble que j’étais, et que mon énergie était loin encore de se lasser. « Mais, ajoutai-je, je suis aussi grand dans le bien que dans le mal, ami aussi tendre et aussi fidèle que je suis ennemi terrible. Je ferai, dis-je, tout ce que vous me demanderez, excepté lorsque vous m’ordonnerez de ne vous point aimer. C’est au-dessus de mes forces, et, tant que mon cœur battra, il faut que je vous suive. C’est ma destinée, c’est la vôtre. Cessez de lutter contre elle, et soyez à moi. Ô la plus aimable des femmes, avec la vie seule peut finir ma passion pour vous, et en effet, ce n’est qu’en mourant sur votre ordre que je pourrai vous obéir. Voulez-vous que je meure ? »

Elle dit en riant (car c’était une femme d’une humeur vive et enjouée) qu’elle ne voulait pas me pousser au suicide, et je compris dès ce moment qu’elle était à moi.

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À un an de là, le 15 de mai 1773, j’eus l’honneur et le bonheur de conduire à l’autel Honoria comtesse de Lyndon, veuve de feu le très-honoré sir Charles Lyndon, chevalier du Bain. La cérémonie fut célébrée à l’église de Saint-George, Hanoversquare, par le révérend Samuel Runt, chapelain de Sa Sei-