Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/220

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rait dangereux de continuer n’en ayant que trois. Les boîtes de roues n’avaient pas été inventées alors, comme elles l’ont été depuis par les ingénieux carrossiers de Long-Acre. Et comment la clavette de la roue était partie, je ne prétends pas le dire, mais elle pouvait fort bien avoir été retirée par quelques-uns des drôles attroupés autour de la porte de lord Charlemont.

Miss Kiljoy mit la tête à la portière en criant comme font les dames ; M. Runt, le chapelain, s’éveilla de son sommeil d’ivrogne, et le petit Bullingdon, se levant et tirant sa petite épée, dit : « N’ayez pas peur, miss Amalia ; si ce sont des voleurs, je suis armé. » Le jeune vaurien avait un courage de lion, c’est une vérité que je dois reconnaître, en dépit de toutes mes querelles ultérieures avec lui.

La voiture de place, qui avait suivi le carrosse de lady Lyndon, arriva en ce moment, et le cocher, voyant l’accident, descendit de son siège et demanda poliment à Sa Seigneurie de lui faire l’honneur d’entrer dans sa voiture, qui était aussi propre et aussi élégante qu’une personne de la plus haute qualité pouvait le désirer. Cette invitation, après une minute ou deux, fut acceptée des gens du carrosse, le cocher de fiacre promettant de les mener à Dublin en toute hâte. Thady, le valet de pied, proposa d’accompagner son jeune maître et la jeune dame ; et le cocher, qui avait à côté de lui sur le siège un ami qui avait l’air ivre, lui dit avec un ricanement de monter derrière. Mais la planche de derrière étant couverte de piquants, comme défense contre les enfants des rues, qui aiment à aller en voiture gratis, la fidélité de Thady n’alla pas jusqu’à braver ce danger, et il consentit à rester avec le carrosse endommagé, pour lequel le cocher et lui fabriquèrent une clavette aux dépens d’une haie voisine.

Pendant ce temps-là, quoique la voiture de place allât rapidement, les gens qui étaient dedans parurent trouver la route bien longue ; et quel fut l’étonnement de miss Kiljoy, en regardant par la portière, de voir enfin autour d’elle une plaine solitaire, sans aucune apparence de ville ou de constructions. Elle cria sur-le-champ au cocher de s’arrêter ; mais l’homme n’en fit que fouetter ses chevaux plus vite, et dit à Sa Seigneurie de rester tranquille : il allait par le plus court.

Miss Kiljoy continua de crier, le cocher de fouetter, les chevaux de galoper, jusqu’au moment où, tout à coup, il sortit d’une haie deux ou trois hommes auxquels la belle demanda du secours ; et le jeune Bullingdon, ouvrant la portière, sauta vail-