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me vanter en compagnie de ma naissance, et de la splendeur de mes équipages, jardins, celliers et domestiques, et cela devant des gens qui étaient parfaitement au fait de ma position réelle. Si c’étaient des jeunes gens, et qu’ils se permissent de ricaner, je les battais, ou me faisais assommer ; et maintes fois, on m’a rapporté à la maison presque tué par un ou plusieurs d’entre eux ; et quand ma mère me questionnait, je disais que c’était une querelle de famille. « Soutenez votre nom de votre sang, Reddy, mon enfant, » disait cette sainte les larmes aux yeux ; et elle en aurait fait autant de la voix, et même des dents et des ongles.

Ainsi, à quinze ans, il n’y avait guère de garçon de vingt ans, à une demi-douzaines de milles à la ronde, que je n’eusse battu pour une cause ou une autre. Il y avait les deux fils du vicaire de Castle-Brady ; — comme de raison, je ne pouvais frayer avec de pareils mendiants, et nous eûmes plus d’une bataille à qui prendrait le haut du pavé dans Brady’s Town ; il y avait Pat Lurgan, le fils du forgeron, qui eut quatre fois l’avantage sur moi avant le combat décisif, j’eus le dessus ; et je pourrais citer une vingtaine d’autres prouesses de ce genre, n’était que ces hauts faits à coups de poing sont d’ennuyeuses choses à narrer et à discuter devant des personnes de distinction.

Mais il est un autre sujet, mesdames, sur lequel je puis discourir, et qui n’est jamais hors de propos. Jour et nuit vous aimez à l’entendre ; jeunes et vieilles, vous en rêvez et vous y pensez. Belles et laides (et ma foi, avant cinquante ans je n’ai jamais vu de femmes laides), c’est le sujet qui vous tient le plus à cœur, toutes que vous êtes ; et je pense que vous devinez mon énigme sans peine. L’amour ! vraiment, ce mot est formé à dessein des plus jolies et plus douces voyelles et consonnes de la langue, et celui ou celle qui ne se soucie pas de lire ce qui s’écrit sur un pareil sujet, n’est pas digne de m’occuper un seul instant.

La famille de mon oncle se composait de dix enfants, qui, comme c’est la coutume dans les nombreuses familles, étaient divisés en deux camps ; les uns étant du côté de leur maman, les autres prenant parti pour mon oncle, dans toutes les fréquentes querelles qui s’élevaient entre sa femme et lui. À la tête de la faction de mistress Brady, était Mick, le fils aîné, qui me haïssait tant et détestait son père, qui l’empêchait d’entrer en jouissance de ses propriétés ; tandis qu’Ulick, le second frère, était l’enfant chéri de son père ; et, en revanche, master Mick avait une peur effroyable de lui. Je n’ai pas besoin de nommer les filles ; j’eus dans la suite assez d’ennuis avec elles, Dieu sait ! et l’une d’elles fut la cause de mes premiers chagrins. C’é-