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Ulick, qui avait fait sa première impression sur l’héritière, et avait brûlé pour elle de sa première flamme chez son père, à Ballykiljoy, où il chassait et se grisait avec le vieux.

« Je pourrais bien aussi venir à bout d’eux, de façon ou d’autre, disait Ulick en poussant un soupir ; et, s’il ne s’agissait que de boire ou de courir la plaine, il n’est pas d’homme, en Irlande, qui aurait plus de chances auprès d’Amalia.

— N’ayez pas peur, Ulick, lui répondis-je, vous aurez votre Amalia, ou mon nom n’est pas Redmond Barry. »

Milord Charlemont, qui était un des seigneurs les plus élégants et les plus accomplis de l’Irlande à cette époque, un érudit et un bel esprit, qui avait beaucoup voyagé à l’étranger, où j’avais eu l’honneur de le connaître, donna un magnifique bal masqué dans sa maison de Marino, à quelques milles de Dublin, sur la route de Dunleary ; et ce fut à cette fête que je me déterminai à rendre Ulick heureux pour la vie. Miss Kiljoy était invitée à ce bal, ainsi que le petit lord Bullingdon, qui se mourait d’envie de voir un tel spectacle ; et il fut convenu qu’il irait sous la surveillance de son gouverneur, mon vieil ami le révérend M. Runt. Je sus dans quel équipage nos gens devaient se rendre au bal, et je pris mes mesures en conséquence.

Ulick Brady n’y était point ; sa fortune et sa qualité n’étaient pas suffisantes pour obtenir une invitation dans un endroit si distingué, et le bruit avait couru, trois jours auparavant, qu’il avait été arrêté pour dettes, ce qui ne surprit aucun de ceux qui le connaissaient.

Je pris, pour cette soirée, un costume qui m’était très-familier, celui de simple soldat de la garde du roi de Prusse. Je m’étais fait faire un masque grotesque, avec un nez et une moustache énormes ; je baragouinais un mélange confus d’anglais et d’allemand, où dominait surtout cette dernière langue ; et j’avais autour de moi une foule qui riait de mon drôle d’accent, et dont la curiosité était accrue par ce qu’elle savait déjà de mon histoire. Miss Kiljoy était vêtue en princesse antique, avec le petit Bullingdon pour page du temps de la chevalerie ; les cheveux du page étaient poudrés, son pourpoint couleur de rose, et vert-pomme et argent, et il avait très-bon air et très-effronté, se carrant avec mon épée au côté. Quant à M. Runt, il se promenait fort gravement en domino, et allait continuellement rendre visite au buffet, où il mangea assez de poulet froid, et but assez de punch et de vin de Champagne pour satisfaire une compagnie de grenadiers.

Le lord lieutenant arriva et partit en grand apparat. Le bal