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cette heure que lorsque j’étais sans espoir ; et à présent que je puis vous obtenir, vous pensez que je renoncerai à vous ! Cruelle, cruelle Calista ! Vous connaissez peu le pouvoir de vos charmes, si vous croyez que leur effet s’efface si aisément ; vous connaissez peu la constance de ce pur et noble cœur, si vous croyez qu’une fois qu’il aime, il peut jamais cesser de vous adorer. Non ! Je jure, par votre cruauté, que je me vengerai d’elle ; je jure, par votre merveilleuse beauté, que je la conquerrai, que je serai digne de la conquérir. Charmante, séduisante, volage, cruelle femme ! Vous serez à moi, je le jure. Votre fortune est grande, mais ne suis-je pas d’une nature assez généreuse pour en user dignement ? Votre rang est élevé, mais pas autant que mon ambition. Vous vous êtes donnée jadis à un débauché sans chaleur et sans énergie, donnez-vous maintenant, Honoria, à un homme, à celui qui, si haut que soit votre rang, sera à sa hauteur et saura même le relever. »

En parlant de la sorte à la veuve étonnée, je me tenais debout au-dessus d’elle ; je la fascinais du regard, je la voyais rougir et pâlir de crainte et de stupeur ; je voyais que l’éloge de ses charmes et le tableau de ma passion n’étaient pas mal accueillis, et je contemplais, avec un sang-froid triomphant, l’empire que je prenais sur elle. La terreur, soyez-en sûr, n’est pas un mauvais ingrédient de l’amour. Un homme qui veut à toute force conquérir le cœur d’une femme faible et vaporeuse, doit réussir, pour peu que l’occasion le seconde.

« Homme terrible ! dit lady Lyndon en reculant d’effroi aussitôt que j’eus cessé de parler (j’étais même à bout d’éloquence, et cherchais un autre discours à lui faire). Homme terrible ! laissez-moi. »

Je vis, par ces paroles mêmes, que j’avais fait impression sur elle. « Si elle me laisse entrer chez elle demain, dis-je, elle est à moi. »

En descendant, je mis dix guinées dans la main du portier, qui resta tout étonné d’un tel présent.

« C’est pour vous dédommager de la peine de m’ouvrir la porte, lui dis-je ; vous aurez souvent à le faire. »