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decins me défendent de beaucoup parler. Supposez que votre Antonio soit fatigué, ma chère. Ne pouvez-vous vous consoler avec quelque autre ?

— Ciel ! lord George ! Antonio !

— Consolez-vous avec Eugenio, » dit amèrement le jeune seigneur, et il se mit à sonner ; sur quoi son valet, qui était dans l’intérieur de l’appartement, en sortit, et il lui dit de reconduire Sa Seigneurie.

Lady Lyndon quitta la chambre dans le plus vif émoi. Elle était en grand deuil, avec un voile sur la figure, et ne reconnut pas la personne qui attendait dans l’antichambre. Comme elle descendait, je la suivis d’un pied léger, et, au moment où son porteur lui ouvrait la portière, je m’élançai en avant et lui pris la main pour la mettre dans sa chaise.

« Très-chère veuve, dis-je, Sa Seigneurie a parlé comme il faut. Consolez-vous avec Eugenio ! »

Elle était trop effrayée, même pour crier, quand son porteur l’emmena. Elle fut déposée à sa maison, et vous pensez bien que j’étais à sa portière, comme auparavant, pour l’aider à sortir de sa chaise.

« Monstre d’homme ! dit-elle, je vous prie de me laisser.

— Madame, ce serait manquer à mon serment, répliquai-je ; rappelez-vous le vœu qu’Eugenio a fait à Calista.

— Si vous ne me quittez pas, je vais vous faire chasser par mes domestiques.

— Eh quoi ! quand je viens avec les lettres de ma Calista en poche, pour les lui rendre peut-être ! Vous pouvez beaucoup par la douceur sur Redmond Barry, madame, mais rien par la violence.

— Que voulez-vous de moi, monsieur ? dit la veuve passablement agitée.

— Laissez-moi monter, et je vous dirai tout, » repartis-je ; et elle daigna me donner la main et me permettre de la conduire de sa chaise à son salon.

Quand nous fûmes seuls, je m’ouvris honorablement à elle.

« Très-chère madame, dis-je, que votre cruauté ne pousse pas un esclave désespéré à de funestes mesures. Je vous adore. Autrefois, vous me permettiez de vous exprimer tout bas ma passion sans contrainte ; à présent, vous me chassez de chez vous, vous laissez mes lettres sans réponse, et vous me préférez un autre. Il m’est impossible de supporter un pareil traitement ; voyez le châtiment que j’ai été forcé d’infliger ; tremblez à la pensée de celui que je puis être obligé d’administrer encore à