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voici une boucle de cheveux de Sa Seigneurie ; voici ses lettres signées Calista et adressées à Eugenio. Voici une pièce de vers adressée par Sa Seigneurie à votre humble serviteur :

Quand Phœbus de ses feux inonde la prairie,
Quand la pâle Cynthie y verse sa clarté,

— Calista ! Eugenio ! Phœbus de ses feux inonde la prairie ! s’écria le jeune lord. Est-ce un rêve ? Eh mais, mon cher Barry, la veuve, m’a envoyé à moi cette même pièce de vers :

Heureuse du soleil dorant l’herbe fleurie,
Ou rêveuse aux lueurs du bel astre argenté. »

Je ne pus m’empêcher de rire à cette Citation. C’était, de fait, mot pour mot, ce que ma Calista m’avait adressé. Et nous trouvâmes, en comparant les lettres, que des passages entiers, dus à sa plume éloquente, figuraient également dans les deux correspondances. Voyez ce que c’est que d’être un bas-bleu et d’avoir la passion d’écrire des lettres !

Le jeune homme posa les papiers, en proie à un grand trouble.

« Eh bien ! Dieu soit loué ! dit-il après une pause assez longue, Dieu soit loué ; et bon débarras ! Ah ! monsieur Barry, quelle femme j’aurais pu épouser si ces bienheureux papiers ne m’étaient pas tombés sous la main ! Je croyais que milady Lyndon avait un cœur, monsieur, je dois l’avouer, quoique pas très-chaud, et que, du moins, on pouvait se fier à elle. Mais l’épouser à présent ! j’aimerais autant envoyer mon domestique dans la rue me chercher une femme, que de m’unir à cette matrone d’Éphèse.

— Milord George, dis-je, vous connaissez peu le monde. Rappelez-vous quel mauvais mari avait lady Lyndon, et ne soyez pas étonné que, de son côté, elle ait été indifférente. Elle n’a jamais non plus, j’ose en faire le pari, dépassé les bornes d’une innocente galanterie, et ses péchés n’ont pas été au delà d’un sonnet ou d’un billet doux.

— Ma femme, dit le petit lord, n’écrira ni sonnets ni billets doux, et je suis profondément heureux de penser que j’ai connu à temps cette femme sans cœur, dont j’ai cru un moment être amoureux. »

Le jeune seigneur était, comme j’ai dit, très-novice dans les choses de ce monde ; car de supposer qu’un homme voudrait abandonner quarante mille livres sterling de rente, parce que la dame en possession de cette fortune avait écrit quelques lettres sentimentales à un jeune homme, c’est vraiment trop absurde ; ou bien, comme je penche à le croire, il était bien aise