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mon rival pendant ce laps de temps ; je m’étais fait un devoir de me présenter à son logis, et j’étais promptement devenu l’intime consolateur de son chevet. Il avait un valet de chambre envers qui je ne négligeai point d’être civil, et pour qui mes gens eurent ordre d’avoir des attentions toutes particulières, car j’avais un désir bien naturel d’apprendre sur quel pied milord George avait été avec la dame de Castle-Lyndon, s’il rôdait d’autres galants autour de la veuve, et comment elle avait supporté la nouvelle de sa blessure.

Le jeune seigneur lui-même m’éclaira quelque peu sur les choses que je tenais le plus à savoir.

« Chevalier, me dit-il un matin que je venais lui rendre mes devoirs, je vois que vous êtes une ancienne connaissance de ma parente, la comtesse de Lyndon. Elle m’écrit une page d’injures contre vous dans la lettre que voici ; et le plus étrange de l’histoire, c’est qu’un jour qu’on causait de vous au château de Lyndon, et du train splendide que vous meniez à Dublin, la belle veuve jura et protesta qu’elle n’avait jamais ouï parler de vous.

« — Oh ! si, maman, dit le petit Bullington : ce grand homme noir, à Spa, qui louchait, qui grisait mon gouverneur, et m’a envoyé mon épée, son nom est M. Barry. »

« Mais milady fit sortir l’enfant de la chambre, et soutint qu’elle ne vous connaissait pas du tout.

— Et vous êtes parent et ami de milady Lyndon, milord ? dis-je d’un ton de grave surprise.

— Oui, vraiment, répondit le jeune gentilhomme. Je n’ai quitté sa maison que pour recevoir de vous cette vilaine blessure ; et elle est venue bien mal à propos, qui plus est.

— Pourquoi plus mal à propos qu’en tout autre instant ?

— C’est que, voyez-vous, chevalier, je crois que la veuve avait un faible pour moi : je crois que j’aurais pu la décider à rendre nos liens plus intimes ; et, ma foi ! quoiqu’elle soit plus âgée que moi, c’est aujourd’hui le plus riche parti de l’Angleterre.

— Milord George, dis-je, permettez-moi de vous faire une franche mais étrange question : voulez-vous me montrer ses lettres ?

— Vraiment non ! je ne ferai pas une pareille chose, répliqua-t-il courroucé.

— Ne vous fâchez pas. Si je vous montre, moi, des lettres de lady Lyndon à moi adressées, me laisserez-vous voir celles que vous avez d’elle ?