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d’argent, et que mes nobles amis, un peu échauffés par le vin, se mirent à plaisanter, comme ma porte se fermait et que je leur souhaitais à tous une bonne nuit.

Je fus passablement surpris et affecté d’apprendre plus tard que cette femme, enveloppée d’un capuchon, n’était autre que ma mère, qui, par orgueil, avait fait vœu de ne jamais entrer chez moi, mais qui, entraînée par l’intérêt maternel, n’avait pu résister au désir de revoir son fils, et s’était ainsi postée sous un déguisement à ma porte. Vraiment, l’expérience m’a démontré que ce sont les seules femmes qui ne trompent jamais un homme, et dont l’affection survit à toutes les épreuves. Songez aux heures que la bonne âme a dû passer, seule dans la rue, à écouter le bruit et l’allégresse de mes appartements, le cliquetis des verres, le rire, les cœurs joyeux et les applaudissements !

Quand survint mon affaire avec lord George, et que je me vis, par les raisons que j’ai dites, dans la nécessité de me tenir à l’écart, maintenant, pensai-je, voici le moment de faire ma paix avec ma bonne mère ; jamais elle ne me refusera un asile, à présent que je parais être en danger : lui ayant donc fait dire que j’arrivais, que j’avais eu un duel qui m’avait mis dans l’embarras et qui me forçait de me cacher, je suivis mon messager à une demi-heure de distance, et je vous le garantis, il n’y eut pas manque de bon accueil, car bientôt, ayant été introduit dans une chambre vide par la fille aux pieds nus qui servait mistress Barry, la porte s’ouvrit, et la pauvre mère s’élança dans mes bras avec un cri, et avec des transports de joie que je n’essaierai pas de décrire : ils ne peuvent être compris que des femmes qui ont tenu dans leurs bras un fils unique, après douze ans d’absence.

Le révérend M. Jowls, le directeur de ma mère, fut la seule personne à qui sa porte fut ouverte pendant mon séjour chez elle, et il n’admit pas de refus. Il se fit un verre de punch au rhum, qu’il paraissait être dans l’habitude de boire aux frais de ma bonne mère, poussa de gros gémissements, et se mit aussitôt à me sermonner sur mes péchés, et principalement sur la dernière horrible action que j’avais commise.

« Péchés ? dit ma mère se hérissant à cette attaque contre son fils, certainement nous sommes tous des pécheurs ; et c’est vous monsieur Jowls, qui m’avez procuré l’inexprimable bonheur de savoir cela. Mais quelle autre conduite auriez-vous voulu, que tînt le pauvre enfant ?

— J’aurais voulu que monsieur évitât de boire, de se que-