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Il paraît que la bonne âme avait préparé un festin dès qu’elle avait appris mon arrivée, et y avait invité toutes ses humbles connaissances de Bray ; mais je fus engagé après coup par milord Ballyragget pour ce jour-là, et, naturellement, je fus obligé de manquer à la promesse que j’avais faite à mistress Barry de venir à son humble fête.

Je tâchai d’adoucir le désappointement de ma mère en lui envoyant une belle pièce de satin noir et une robe de velours, que j’avais achetées pour elle chez les meilleurs merciers de Dublin (et que je dis même avoir apportées exprès de Paris pour elle) ; mais le messager que je dépêchai avec ces présents rapporta les paquets avec la pièce de satin à moitié déchirée au milieu, et je n’eus pas besoin de ses explications pour comprendre que quelque chose avait offensé la bonne dame, qui était sortie, dit-il, et l’avait accablé d’injures à la porte, et l’aurait souffleté, si elle n’eût été retenue par un monsieur en noir, que je jugeai avec raison devoir être son révérend ami M. Jowls.

Cet accueil fait à mes présents me fit plutôt craindre qu’espérer une entrevue avec mistress Barry, et retarda ma visite de quelques jours encore. Je lui écrivis une lettre respectueuse et calmante, à laquelle je ne reçus point de réponse, quoique j’y eusse mentionné qu’en me rendant à la capitale j’avais été à Barryville, et que j’avais revu les lieux témoins de mon enfance.

Peu m’importe d’avouer que c’est la seule créature humaine que je redoute d’affronter. Je me rappelle ses accès de colère quand j’étais petit, et les réconciliations, qui étaient encore plus violentes et plus pénibles. Au lieu donc d’y aller moi-même, je lui envoyai mon factotum, Ulick Brady, qui revint disant qu’il avait eu une réception qu’il ne voudrait point essuyer encore pour vingt guinées ; qu’il avait été mis à la porte de la maison, avec l’injonction formelle de m’informer que ma mère me désavouait pour toujours. Cet anathème maternel m’affecta beaucoup, car je fus toujours le plus respectueux des fils, et je me déterminai à aller aussi vite que possible braver ce que je savais devoir être une scène inévitable de reproches et de colère, pour obtenir, je m’en flattais, une réconciliation non moins certaine.

J’avais eu un soir à souper quelques personnes de la meilleure compagnie de Dublin, et je reconduisais jusqu’en bas milord marquis avec une paire de bougies, lorsque, sur les degrés de ma porte, je trouvai assise une femme vêtue de gris, à laquelle, la prenant pour une mendiante, je présentai une pièce