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me rappelle plusieurs passages de ses lettres, où elle déplore amèrement son sort d’être unie à quelqu’un de si indigne d’elle.

« À coup sûr, dans la masse de billets que vous avez d’elle, il doit y avoir de quoi la compromettre. Examinez-les bien, choisissez les passages, et menacez-la de le faire. Écrivez-lui d’abord de ce ton assuré d’un amant qui a tous droits sur elle. Puis, si elle garde le silence, adressez des représentations, en faisant allusion à ses anciennes promesses, en produisant des preuves de l’estime où elle vous tenait, en jurant désespoir, destruction, vengeance, si elle devient infidèle. Effrayez-la, étonnez-la par quelque trait d’audace, qui lui fasse voir votre indomptable résolution ; vous êtes homme à cela. Votre épée a une réputation en Europe, et vous avez un renom d’audace, qui est la première chose qui ait attiré sur vous les regards de milady Lyndon. Faites parler de vous à Dublin : soyez aussi brillant, et aussi brave, et aussi bizarre que possible. Combien je voudrais être auprès de vous ! Vous n’avez pas l’imagination qu’il faut pour inventer le rôle que je voudrais vous faire jouer ; mais, pourquoi parler ? N’ai-je pas assez du monde et de ses vanités ? »

Il y avait beaucoup de bon sens pratique dans cet avis, que je cite dégagé du long récit de ses mortifications et dévotions où mon oncle se complaisait, finissant sa lettre, comme d’habitude, par d’instantes prières pour ma conversion à la vraie foi. Mais il était fidèle à son culte, et moi, en homme d’honneur et de principes, je ne l’étais pas moins au mien, et je ne doute pas que, sous ce rapport, l’un ne soit aussi agréable que l’autre.

Ce fut donc conformément à ces instructions que j’écrivis à lady Lyndon pour lui demander, à mon arrivée, quand le plus respectueux de ses admirateurs aurait la permission de troubler sa douleur. Puis, comme Sa Seigneurie ne répondit point, je demandai si elle avait oublié le passé et celui qu’elle favorisait de son intimité à une si heureuse époque. Caliste ne se souvenait-elle plus d’Eugenio ? En même temps, j’envoyai par mon domestique, avec cette lettre, une petite épée en présent à lord Bullingdon, et un billet particulier à son gouverneur, de qui, par parenthèse, j’avais en ma possession un billet montant à une somme, j’oublie laquelle, mais que le pauvre hère aurait eu bien de la répugnance à payer. À ce message, vint une réponse du secrétaire de Sa Seigneurie, disant que lady Lyndon était trop accablée par l’horrible malheur qui venait de l’atteindre, pour voir personne autre que ses parents ; et aussi un avis de mon ami, le gouverneur de l’enfant, me prévenant que milord George Poynings était le jeune parent qui paraissait devoir la consoler.