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toutes les nouvelles du sport, des assises et des sessions trimestrielles, étaient détaillées par ce digne chroniqueur de petite bière, qui s’étonnait que Mon Honneur ne les eût pas entendu dire en Angleterre ou à l’étranger, où il semblait croire que le monde était aussi intéressé que lui aux faits et gestes de Kilkenny et de Carlow. J’écoutai ces récits avec infiniment de plaisir, je l’avoue, car de temps en temps il prononçait un nom que je me rappelais de l’ancien temps, et réveillait en moi une foule d’associations d’idées.

J’avais reçu beaucoup de lettres de ma mère qui m’informait de ce qui se passait dans la famille de Brady’s Town. Mon oncle était mort, et Mick, son fils aîné, l’avait également suivi au tombeau. Les filles avaient quitté le toit paternel aussitôt que leur frère aîné était venu y commander. Les unes étaient mariées, les autres étaient allées s’établir avec leur odieuse vieille mère dans quelque ville d’eaux perdue. Ulick, en héritant de la propriété, n’avait hérité que de dettes, et Castle-Brady n’était plus habité que par des chauves-souris et des hiboux, et par le vieux garde-chasse. Ma mère, mistress Harry Barry, était allée vivre à Bray, pour être de la congrégation de M. Jowls, son prédicateur favori, qui y avait une chapelle ; et enfin, l’aubergiste me dit que le fils de mistress Barry avait passé à l’étranger, s’était engagé au service de la Prusse, et y avait été fusillé comme déserteur.

Peu m’importe d’avouer que je louai de l’aubergiste un fort bidet après dîner, et qu’au tomber de la nuit je fis vingt milles en arrière pour revoir mon ancienne demeure. Le cœur me battit en la voyant. Barryville avait un mortier et un pilon au-dessus de la porte, et était appelé « Dépôt d’Esculape » par le docteur Macshane ; un garçon à cheveux roux préparait un emplâtre dans l’ancien parloir ; la petite fenêtre de ma chambre, jadis si proprette et si brillante, avait plusieurs vitres cassées et remplacées par des chiffons ; les fleurs avaient disparu des plates-bandes si bien tenues par ma soigneuse bonne mère. Dans le cimetière, il y avait deux noms ajoutés à la pierre placée au-dessus du caveau de la famille des Brady : c’étaient ceux de mon cousin, dont je ne me souciais guère, et de mon oncle, que j’avais toujours aimé. Je demandai à mon ancien camarade le forgeron, qui m’avait si souvent battu au temps jadis, de donner à mon cheval un picotin et une litière : c’était maintenant un homme à l’air usé et fatigué, avec une douzaine de sales enfants déguenillés tripotant dans la boue autour de sa forge, et il n’eut aucune mémoire du beau gentilhomme qui se tenait devant lui. Je