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Et mon éducation n’était pas négligée sous le rapport des talents d’agrément, car j’avais des dispositions naturelles tout à fait extraordinaires pour beaucoup de choses, et j’eus bientôt dépassé la plupart des personnes qui étaient autour de moi. J’avais beaucoup d’oreille et une belle voix, que ma mère cultivait de son mieux, et elle m’enseigna à danser le menuet avec grâce et gravité, et jeta ainsi les fondements de mes futurs succès dans le monde. Les danses ordinaires, je les appris, peut-être ne devrais-je pas l’avouer, à l’office, qui, vous pouvez en être sûrs, n’était jamais sans un ménétrier, et où j’étais considéré comme sans rival pour le hornpipe et la gigue.

Quant à ce qui est de la lecture, j’eus toujours un goût prononcé pour les pièces de théâtre et les romans, comme la meilleure partie de l’éducation d’un gentilhomme, et je ne laissais jamais passer un colporteur dans le village, si j’avais un sou, sans lui acheter une ou deux ballades. Pour ce qui est de votre ennuyeuse grammaire, du grec, du latin et autre fatras semblable, je les ai toujours détestés depuis mon enfance, et j’ai dit très-formellement que je n’en voulais pas entendre parler.

Ceci, je le prouvai d’une façon assez claire à l’âge de treize ans, lorsque ma tante Biddy Brady légua cent livres sterling à maman, qui songea à employer cette somme à mon éducation, et m’envoya à la fameuse académie du docteur Tobias Tickler, à Ballywhacket, — Backwhacket (coup sur le derrière), comme mon oncle avait coutume de l’appeler. Mais, six semaines après qu’on m’eut confié à Sa Révérence, je reparus soudain à Castle Brady, ayant fait à pied quarante milles pour fuir cet odieux endroit, et laissé le docteur dans un état voisin de l’apoplexie. Le fait est qu’aux billes, aux barres ou à la boxe, j’étais à la tête de l’école, mais qu’on ne put m’amener à me distinguer dans les classes ; et après y avoir été sept fois, sans que cela me fît le moindre bien pour mon latin, je refusai tout à fait de me soumettre (ayant vu que c’était inutile), à une huitième application de verges. « Essayez de quelque autre moyen, monsieur, » dis-je au maître, quand il s’apprêta à me fustiger une fois de plus ; mais il ne voulut pas ; sur quoi, et pour me défendre, je lui lançai une ardoise, et terrassai un maître d’études écossais, avec un encrier de plomb. Tous les élèves poussèrent des houras, et quelques-uns des domestiques essayèrent de m’arrêter ; mais, tirant de ma poche un grand couteau que m’avait donné ma cousine Nora, je jurai de le plonger dans le ventre du premier qui oserait me retenir ; et, ma foi ! ils me laissèrent passer. Je couchai cette nuit à vingt milles de Ballywhacket, dans la maison d’un paysan,