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faires au jeu, et j’étais sur le point d’épouser la veuve Cornu (nous étions alors à Bruxelles, et la pauvre âme, était folle de moi), quand la Gazette de Londres me fut mise dans les mains, et je lus le paragraphe suivant :

« Est mort à Castle-Lyndon, dans le royaume d’Irlande, le Très-Honorable sir Charles Lyndon, chevalier du Bain, membre du parlement pour Lyndon dans le Devonshire, et pendant nombre d’années le représentant de Sa Majesté dans diverses cours d’Europe. Il laisse un nom cher à tous ses amis par ses vertus et ses talents multipliés, une réputation justement acquise au service de Sa Majesté, et une veuve inconsolable pour déplorer sa perte. Sa Seigneurie, la comtesse de Lyndon, était à Bath lorsque lui est parvenue l’horrible nouvelle de la mort de son mari, et elle est partie immédiatement pour l’Irlande afin de rendre les derniers et tristes devoirs à ses restes bien-aimés. »

Le soir même je partis en poste pour Ostende, d’où je frétai un bâtiment pour Douvres ; et, voyageant rapidement vers l’ouest, j’atteignis Bristol, d’où je m’embarquai pour Waterford, et me trouvai, après onze ans d’absence, dans mon pays natal.



CHAPITRE XIV.

Je retourne en Irlande, et étale ma splendeur et ma générosité dans ce royaume.


Combien les temps étaient changés pour moi ! J’avais quitté mon pays, pauvre enfant sans le sou, simple soldat dans un misérable régiment en marche. Je revenais homme accompli, ayant à moi cinq mille guinées, une magnifique garde-robe, et un écrin qui en valait deux mille autres, ayant joué un rôle dans toutes les scènes de la vie, et un rôle qui ne laissait pas que d’être assez distingué, ayant fait la guerre et l’amour, étant, par mon propre génie et par mon énergie, parvenu de la pauvreté et de l’obscurité à l’aisance et à la splendeur. Quand je mettais la tête à la portière de ma voiture, roulant sur ces routes si nues et si tristes, le long des misérables cabanes des paysans qui sortaient en haillons pour admirer le brillant équi-