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gles papistes. Mais le squire n’avait pas de tels scrupules ; c’était l’être le plus facile à vivre, le plus oisif, le meilleur qu’on eût jamais vu, et il passait bien des heures à tenir compagnie à la veuve, lorsqu’il était las chez lui de mistress Brady. Il m’aimait, disait-il, autant qu’aucun de ses fils, et à la fin, après que la veuve eut tenu bon pendant une couple d’années, elle consentit à me permettre de retourner au château ; mais, quant à elle, elle garda résolûment le serment qu’elle avait fait au sujet de sa belle-sœur.

Le premier jour que je retournai à Castle Brady, mes épreuves, on peut le dire en un sens, commencèrent. Mon cousin, master Mick, un énorme monstre de dix-neuf ans (qui me haïssait, et je le lui rendais bien, je vous le promets), m’insulta à dîner sur la pauvreté de ma mère, et fit rire toutes les filles de la famille. Aussi, quand nous allâmes à l’écurie, où Mick allait toujours fumer sa pipe de tabac après dîner, je lui en touchai deux mots, et il y eut un combat d’au moins dix minutes, dans lequel je lui tins tête comme un homme, et lui pochai l’œil gauche, quoique je n’eusse alors, moi-même, que douze ans. Comme de raison, il me rossa ; mais, une rossée ne fait que peu d’impression sur un garçon de cet âge, comme je l’avais prouvé maintes fois auparavant avec les galopins de Brady’s Town, dont pas un, à mon âge, n’était de ma force. Mon oncle fut enchanté quand il apprit ma prouesse ; ma cousine Nora apporta du papier brouillard et du vinaigre pour mon nez, et je m’en allai, ce soir-là, avec une pinte de claret dans l’estomac, n’étant pas médiocrement fier, permettez-moi de vous le dire, de m’être défendu si longtemps contre Mick.

Et, quoiqu’il persistât, à me maltraiter, et qu’il fût dans l’usage de m’accueillir à coups de canne toutes les fois que je me trouvais sur son chemin, cependant j’étais très-content maintenant, à Castle Brady, de la compagnie qui était là, et de mes cousins, ou de quelques-uns d’entre eux, et des bontés de mon oncle, dont j’étais devenu un prodigieux favori. Il m’acheta un petit cheval, et m’apprit à monter dessus. Il me mena chasser à courre et à l’oiseau, et m’enseigna à tirer au vol. Et à la fin, je fus délivré de la persécution de Mick, car son frère, master Ulick, qui revenait du collège de la Trinité, et haïssait son frère aîné, comme c’est l’habitude dans les familles du grand monde, me prit sous sa protection ; et, depuis lors, comme Ulick était beaucoup plus grand et plus fort que Mick, l’Anglais Redmond, comme on m’appelait, fut laissé tranquille, excepté quand le premier jugeait convenable de me battre, ce qui arrivait toutes les fois que la chose lui convenait.