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Voyant cela, Magny, après des bassesses effroyables, après s’être traîné à genoux, autour de la chambre, d’un de ces personnages à l’autre, pleurant et criant de terreur, finit par boire la potion en désespéré, et peu d’instants après il n’était plus qu’un cadavre. Ainsi finit ce misérable jeune homme.

« Sa mort fut publiée dans la Gazette de la Cour deux jours après ; il était dit que M. de M…, frappé de remords d’avoir attenté à la vie du juif, s’était empoisonné dans sa prison, et on profitait de l’occasion pour prémunir les jeunes seigneurs du duché contre la terrible passion du jeu, qui avait causé la ruine de ce jeune homme, et avait fait tomber sur les cheveux blancs d’un des plus nobles et des plus honorables serviteurs du duc un malheur irrémédiable.

« Les funérailles se firent décemment, mais sans publicité, et le général de Magny y assista. Le carrosse des deux ducs et tous les principaux personnages de la cour rendirent visite au général. Il assista à la parade comme d’habitude le lendemain, sur la place de l’Arsenal, et le duc Victor, qui avait inspecté le bâtiment, en sortit appuyé sur le bras du brave vieux guerrier. Il fut d’une grâce toute particulière pour le vieillard, et raconta à ses officiers l’histoire qu’il répétait souvent, comme quoi à Rosbach, où le contingent de X… servait avec les troupes du malheureux Soubise, le général s’était jeté au-devant d’un dragon français qui serrait de près Son Altesse dans la déroute, et avait reçu le coup destiné à son maître, et tué l’assaillant. Et il fit allusion à la devise de la famille : « Magny sans tache ; » et dit qu’il en avait toujours été ainsi de son brave ami et maître dans l’art de la guerre. Ce discours affecta vivement tous les assistants, à l’exception du vieux général qui salua sans rien dire ; lorsqu’il s’en retourna chez lui, on l’entendit marmotter : « Magny sans tache ! Magny sans tache ! » et il fut attaqué dans la nuit d’une paralysie dont il ne se remit jamais que partiellement.

« La nouvelle de la mort de Maxime avait été cachée à la princesse jusqu’à ce moment, une gazette ayant même été imprimée pour elle sans le paragraphe qui contenait la relation de son suicide ; mais elle finit par le savoir, je ne sais comment. Et quand elle l’apprit, à ce que m’ont dit ses dames, elle poussa un cri et tomba comme frappée de mort ; puis elle s’assit sur son séant d’un air effaré, et se mit à déraisonner comme une folle ; et alors on la porta dans son lit, où son médecin la visita, et où elle fut prise d’une fièvre cérébrale. Tout le temps, le prince envoya savoir de ses nouvelles, et d’après l’ordre qu’il donna de préparer et de meubler son château de Schlangenfels, je ne