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voir galopant comme un fou dans les rues désertes, au point du jour, sans chapeau et ses cheveux sans poudre épars derrière lui.

« Le page, avec sa boîte de papiers, brûlait le pavé derrière son maître ; ce n’était pas chose facile que de le suivre ; et ils coururent du palais à la ville, et de là au quartier du général. Les sentinelles furent effrayées de l’étrange figure qui se précipitait sur la porte du général, et, ne reconnaissant pas Son Altesse, croisèrent la baïonnette et lui refusèrent l’entrée.

« Imbéciles ! dit Weissenborn, c’est le prince ! »

« Et ayant sonné comme si le feu était à la maison, le portier finit par ouvrir, et Son Altesse monta quatre à quatre à la chambre à coucher du général, suivi du page avec la boîte.

« Magny !… Magny, cria le prince frappant de toutes ses forces à la porte, levez-vous ! »

« Et aux questions faites du dedans par le vieillard, il répondit :

« C’est moi… Victor… le prince !… levez-vous ! »

« Et bientôt la porte fut ouverte par le général en robe de chambre, et le prince entra. Le page apporta la boîte et reçut l’ordre d’attendre au dehors, ce qu’il fit. Mais la chambre à coucher de M. de Magny avait deux portes donnant sur l’antichambre ; la grande, par laquelle on entrait dans sa chambre, et une plus petite qui conduisait, comme c’est l’usage dans nos maisons, au cabinet qui communique avec l’alcôve où est le lit. Cette porte-ci se trouvait ouverte, et M. de Weissenborn put ainsi voir et entendre tout ce qui se passait dans l’appartement.

« Le général, un peu agité, demanda à Son Altesse la cause d’une visite si matinale, à quoi le prince ne répondit, pendant quelque temps, qu’en ouvrant sur lui des yeux égarés, et en allant et venant par la chambre.

« À la fin il dit : « La cause, la voici ! » en frappant la boîte du poing ; et, comme il avait oublié d’en prendre la clef, il fit quelques pas vers la porte en disant : « Weissenborn l’a peut-être ; » mais voyant sur le poêle un des couteaux de chasse du général, il le prit et dit : « Cela fera l’affaire, » et il se mit à forcer la boîte avec la pointe du couteau. La pointe se cassa, et il proféra un jurement, mais continua à taillader la boîte avec la lame brisée, qui était bien plus propre à son dessein que le long couteau pointu, et il finit par réussir à enlever le couvercle.

« Qu’est-ce qu’il y a ? dit-il en riant. Voici ce qu’il y a ! Lisez ceci ! il y a encore ceci ; lisez-le ! et ceci encore… non, non,