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« Johann, dit le ministre en frappant sur l’épaule de l’espion ravi, je suis de plus en plus content de vous ! J’ai réfléchi, depuis que vous m’avez quitté, à votre intelligence, et à la manière fidèle dont vous m’avez servi ; et je trouverai bientôt une occasion de vous placer selon votre mérite. Quel chemin prend ce gueux d’israélite ?

« — Il va ce soir à R…

« — Et doit passer par le Kaiserwald. Êtes-vous un homme de cœur, Johann Kerner ?

« — Votre Excellence veut-elle me mettre à l’épreuve ? dit l’homme, les yeux étincelants ; j’ai fait la guerre de Sept ans, et je n’en ai jamais manqué là.

« — Eh bien, écoutez. L’émeraude doit être reprise au juif ; rien qu’en la gardant, le misérable s’est rendu coupable de haute trahison. À l’homme qui m’apporte cette émeraude, je jure de donner cinq cents louis. Vous comprenez pourquoi il est nécessaire qu’elle soit rendue à Son Altesse. Je n’ai pas besoin d’en dire davantage.

« — Vous l’aurez ce soir, monsieur, dit l’homme. Comme de juste, Votre Excellence me garantit les suites en cas d’accident.

« — Bah ! répondit le ministre, je vais vous payer moitié de la somme d’avance, tant j’ai confiance en vous. Tout accident est impossible, si vous prenez convenablement vos mesures. Il y a quatre lieues de bois ; le juif va lentement. Il fera nuit avant qu’il puisse arriver, par exemple, au vieux moulin à poudre qui est dans le bois. Qui vous empêche de tendre une corde en travers de la route, et de lui faire là son affaire ? Revenez me trouver ce soir à souper. Si vous rencontrez quelque patrouille, dites : Les renards sont en liberté ; c’est le mot d’ordre pour cette nuit ; elle vous laissera passer sans questions. »

« L’homme s’en alla tout à fait charmé de sa commission ; et, tandis que Magny perdait son argent à notre table de pharaon, son domestique dressait un guet-apens au juif à l’endroit nommé Moulin à poudre, dans le Kaiserwald. Le cheval du juif culbuta par-dessus une corde qui avait été mise en travers de la route ; et, quand son cavalier tomba en gémissant par terre, Johann Kerner se précipita sur lui, masqué et pistolet en main, et lui demanda son argent. Il n’avait aucune envie de tuer le juif, je crois, à moins que sa résistance ne le forçât d’en venir à cette extrémité.

« Et il ne commit pas non plus ce meurtre ; car, au moment où le juif demandait en hurlant merci, et où son assaillant le me-