Quoiqu’elle ne m’eût pas abordé dans le cercle du Ranelagh, j’étais, à cette époque, aussi connu que le prince de Galles, et elle n’eut aucune difficulté à trouver ma maison dans Berkeley-square, où un billet me fut expédié le lendemain matin.
« Une ancienne amie de monsieur de Balibari, y était-il dit en fort mauvais français, désire revoir le chevalier et causer de l’heureux temps d’autrefois. Rosine de Liliengarten (se peut-il que Redmond Balibari l’ait oubliée ?) sera chez elle, dans Leicester-Fields, toute la matinée, attendant quelqu’un qui n’aurait pas ainsi passé près d’elle il y a vingt ans. »
C’était, en effet, Rosine de Liliengarten, une Rosine épanouie comme j’en ai rarement vu. Je la trouvai à un premier étage assez convenable, dans Leicester-Fields (la pauvre âme tomba beaucoup plus bas par la suite), prenant du thé qui, je ne sais comment, avait une odeur très-prononcée d’eau-de-vie ; et après des salutations qui seraient encore plus ennuyeuses à raconter qu’elles ne le furent à faire, après quelques propos décousus, elle me fit brièvement, en ces termes, le récit des événements de X…, que je puis bien intituler la Tragédie de la princesse :
« Vous vous rappelez M. de Geldern, le ministre de la police. Il était d’extraction hollandaise, et, qui plus est, d’une famille de juifs hollandais. Quoique tout le monde lui connût cette tache dans son écusson, il était mortellement irrité quand on soupçonnait son origine, et faisait amende honorable des erreurs de son père par de furibondes professions de foi et par les pratiques de dévotion les plus austères. Il allait à l’église tous les matins, se confessait une fois par semaine, et haïssait les juifs et les protestants autant que l’aurait pu faire un inquisiteur. Il ne perdait jamais une occasion de prouver sa sincérité, en persécutant les uns ou les autres toutes les fois qu’il le pouvait.
« Il haïssait mortellement la princesse ; car Son Altesse, dans un de ses caprices, lui avait jeté à la tête son origine, avait fait à table emporter du porc de devant lui, ou quelque autre aussi sotte injure ; et il avait une violente animosité contre le vieux baron de Magny, tant comme protestant, que parce que ce dernier, dans un accès d’humeur hautaine, lui avait publiquement tourné le dos comme à un aigrefin et à un espion. Il s’élevait continuellement entre eux des querelles dans le conseil, où la présence seule de son auguste maître empêchait le baron d’exprimer tout haut et fréquemment le mépris qu’il ressentait pour l’homme de police.
« Ainsi la haine était un motif pour Geldern de perdre la prin-