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mellement d’appuyer ma demande auprès de Son Altesse le duc régnant ; et M. de Magny eut pour instructions de décider la princesse Amalia à faire une semblable démarche auprès du vieux souverain en ma faveur. Elle fut faite. Les deux dames pressèrent le prince ; Son Altesse, à un souper d’huîtres et de vin de Champagne, fut amenée à consentir, et Son Altesse la princesse héréditaire me fit l’honneur de notifier en personne à la comtesse Ida que l’intention du prince était qu’elle épousât le jeune seigneur irlandais, le chevalier Redmond de Balibari. La notification eut lieu en ma présence, et quoique la jeune comtesse dît : « Jamais ! » et tombât sans connaissance aux pieds de sa maîtresse, je fus, comme vous pensez bien, fort peu ému de ce petit déploiement de fade sensibilité, et compris que j’étais sûr de ma proie.

Ce soir-là, je remis l’émeraude au chevalier de Magny, qui promit de la rendre à la princesse ; et maintenant mon seul obstacle était le prince héréditaire, dont son père, sa femme et la favorite avaient également peur. Il pouvait ne pas être disposé à souffrir que la plus riche héritière de son duché tombât aux mains d’un noble, mais non riche étranger. Il fallait du temps pour faire cette ouverture au prince Victor. Il fallait que la princesse le prît dans un moment de bonne humeur. Il avait encore des jours d’enivrement, où il ne savait rien refuser à sa femme ; et notre plan était d’attendre un de ces jours, ou toute autre chance qui pourrait s’offrir.

Mais il était dit que la princesse n’aurait jamais son époux à ses pieds, comme il y avait été souvent. Le destin préparait un terrible dénoûment à ses folies et à mon propre espoir. En dépit des promesses solennelles qu’il m’avait faites, Magny ne rendit point l’émeraude à la princesse Amalia.

Il avait su, dans ses relations accidentelles avec moi, que mon oncle et moi nous avions eu des obligations à M. Moïse Löwe, le banquier de Heidelberg, qui nous avait donné un bon prix de nos objets de valeur ; et le jeune écervelé saisit un prétexte d’aller le trouver, et voulut mettre le bijou en gage. Moïse Löwe reconnut sur-le-champ l’émeraude, donna à Magny la somme que ce dernier demandait, et que le chevalier eut bientôt perdue au jeu, sans nous faire connaître, comme vous pouvez le penser, le moyen par lequel il se trouvait en possession d’une somme aussi forte. Nous supposions, quant à nous, qu’elle lui était fournie par son banquier habituel, la princesse ; et maints rouleaux de ses pièces d’or trouvèrent le chemin de notre caisse, lorsque aux galas de la cour, dans notre propre logis, ou dans