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lui-même d’une nature si élevée et si sévère, qu’il ne pouvait pas croire qu’elle méconnût assez son rang pour oublier sa vertu ; et j’ai ouï dire que lorsqu’on lui faisait des insinuations au sujet de la partialité évidente que la princesse montrait pour l’écuyer, sa réponse était un ordre sévère de ne plus jamais l’importuner à cet égard. « La princesse est d’humeur légère, disait-il ; elle a été élevée dans une cour frivole ; mais sa folie ne va pas au delà de la coquetterie ; le crime est impossible ; elle a sa naissance, et mon nom, et ses enfants, pour la défendre. » Et il partait pour ses inspections militaires, et restait absent plusieurs semaines, ou se retirait dans ses appartements et s’y enfermait des jours entiers, ne paraissant que pour saluer au lever de la princesse, ou pour lui donner la main aux galas de la cour, où l’étiquette exigeait qu’il se montrât. C’était un homme de goûts vulgaires, et je l’ai vu dans le jardin privé, avec son grand corps gauche, courir ou jouer à la balle, avec son fils et sa fille, qu’il trouvait des prétextes d’aller voir une douzaine de fois par jour. Les sérénissimes enfants étaient amenés chaque matin à la toilette de leur mère ; mais elle les recevait avec beaucoup d’indifférence, excepté une fois que le jeune duc Ludwig avait son petit uniforme de colonel de hussards, son parrain, l’empereur Léopold, lui ayant fait cadeau d’un régiment. Alors, pour un jour ou deux, la princesse Olivia fut charmée du petit garçon ; mais elle s’en fatigua vite, comme un enfant d’un jouet. Je me souviens qu’un jour, au cercle du matin, un peu de rouge de la princesse tomba sur la manche du petit uniforme blanc de son fils, sur quoi elle donna un soufflet au pauvre enfant, et le renvoya tout en sanglots. Oh ! tout le mal qu’ont fait les femmes en ce monde ! les malheurs dans lesquels les hommes sont entrés légèrement et la face souriante, souvent sans même l’excuse de la passion, par pure fatuité, vanité, bravade ! Les hommes jouent avec ces terribles armes à deux tranchants, comme s’il ne pouvait leur en arriver aucun mal. Moi, qui ai plus vu de la vie que la plupart des hommes, si j’avais un fils, je le supplierais à genoux d’éviter la femme, qui est pire que le poison. Ayez une intrigue, et toute votre vie est en danger : vous ne savez pas quand le mal peut tomber sur vous, et ce qu’un moment de folie peut causer de malheurs à des familles entières, et amener de ruine sur d’innocentes têtes qui vous sont parfaitement chères.

Lorsque je vis à quel point l’infortuné M. de Magny paraissait perdu sans ressource, en dépit de tout ce que j’avais à réclamer de lui, je le pressai de fuir. Il avait un logement au palais, dans les mansardes, au-dessus des appartements de la princesse (c’é-