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pelée la belle veuve, mistress Barry était plus satisfaite encore d’être appelée la veuve anglaise.

Mistress Brady, pour sa part, n’était pas lente à la riposte ; elle avait coutume de dire que le défunt Barry était un banqueroutier et un mendiant ; et que, quant à la société fashionable qu’il voyait, il la voyait de la petite table de mylord Bagwig, dont il était connu pour être le flatteur et le parasite. Sur le compte de mistress Barry, la dame du château de Brady faisait des insinuations encore plus pénibles. Mais pourquoi irions-nous reproduire ces accusations, ou ramasser des caquets vieux de cent ans ? C’était sous le règne de George II que les susdits personnages vivaient et se querellaient ; bons ou mauvais, beaux ou laids, riches ou pauvres, ils sont tous égaux maintenant, et les feuilles du dimanche et les tribunaux ne nous fournissent-ils pas chaque semaine des diffamations plus nouvelles et plus intéressantes ?

En tout cas, il faut avouer que mistress Brady, après la mort de son mari et sa retraite, vécut d’une façon à défier la médisance ; car, tandis que Bell Brady avait été la fille la plus coquette de tout le comté de Wexford, ayant la moitié des célibataires à ses pieds et force sourires et encouragements pour chacun d’eux, Bell Barry adoptait une réserve pleine de dignité qui allait presque jusqu’à l’ostentation, et était aussi empesée qu’aucune quakeresse. Plus d’un, qui avait été épris des charmes de la fille, renouvela ses offres à la veuve ; mais mistress Barry refusa toute offre de mariage, déclarant qu’elle ne vivait plus que pour son fils et pour la mémoire du saint qu’elle avait perdu.

« Quel saint, miséricorde ! disait la méchante mistress Brady. Harry Barry était un aussi gros pécheur que pas un, et il est notoire que Bell et lui se détestaient. Si elle ne veut pas se marier maintenant, soyez-en sûr, l’artificieuse n’en a pas moins un mari en vue, et elle attend seulement que lord Bagwig soit veuf. »

Et quand cela eût été, eh bien, après ? La veuve d’un Barry n’était-elle pas un parti convenable pour n’importe quel lord d’Angleterre ? et n’avait-il pas toujours été dit qu’une femme rétablirait la fortune de la famille Barry ? Si ma mère s’imaginait qu’elle devait être cette femme, je pense que c’était de sa part une idée très-légitime, car le comte (mon parrain) était toujours très-attentif pour elle ; et je n’ai jamais su à quel point cette idée de m’assurer une bonne position dans le monde s’était emparée de l’esprit de maman, jusqu’au mariage de Sa Sei-