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et il faudrait bien que sa pupille y obéît. Mme de Liliengarten était aussi, à cause de sa position, extrêmement désireuse d’obliger la princesse Olivia, qui, un jour ou l’autre, pouvait être appelée à monter sur le trône. Le vieux duc était tout chancelant, apoplectique, et excessivement amateur de bonne chère. Lorsqu’il ne serait plus, le patronage de la duchesse Olivia deviendrait tout à fait nécessaire à sa veuve. De là la parfaite intelligence qui régnait entre ces deux dames, et le monde disait que la princesse héréditaire avait déjà eu l’assistance de la favorite en diverses occasions. Son Altesse avait obtenu, par la comtesse, plusieurs grosses sommes d’argent pour le payement de ses nombreuses dettes ; et, maintenant, elle était assez bonne pour exercer sa gracieuse influence sur Mme de Liliengarten, afin d’obtenir pour moi l’objet qui me tenait si fort à cœur. On ne doit point supposer que mon but pût être atteint sans répugnance et refus continuels de la part de Magny ; mais je poussais résolument ma pointe et j’avais en main de quoi triompher de l’obstination de ce faible jeune homme. Je puis dire aussi, sans vanité, que, si la haute et puissante princesse me détestait, la comtesse (quoiqu’elle fût, disait-on, d’une origine extrêmement basse) avait meilleur goût et m’admirait. Elle nous faisait souvent l’honneur de s’associer à nous dans une des banques de notre pharaon, et déclarait que j’étais le plus bel homme du duché. Tout ce qu’on me demandait était de prouver ma noblesse, et je me fis faire à Vienne une généalogie de nature à satisfaire les plus avides en ce genre. Au fait, qu’est-ce qu’un homme descendu des Barry et des Brady avait à craindre devant aucun von d’Allemagne ? Pour plus de sûreté, je promis à Mme de Liliengarten dix mille louis le jour de mon mariage, et elle savait que comme joueur je n’avais jamais manqué à ma parole, et je jure que, quand j’aurais dû le payer cinquante pour cent, j’aurais trouvé l’argent.

Ainsi par mes talents, par mon honnêteté, par ma finesse, eu égard à ma position de pauvre proscrit, je m’étais procuré de très-puissants protecteurs. Même S. A. le duc Victor était favorablement disposé pour moi ; son cheval de bataille favori ayant été pris de vertiges, je lui donnai une boulette comme celles que mon oncle Brady avait l’habitude d’administrer ; je guéris le cheval, et depuis lors Son Altesse daigna me remarquer souvent. Elle m’invita à ses parties de chasse à courre et à tir, où je me montrai bon chasseur, et une ou deux fois elle daigna me parler de mes projets d’avenir, déplorant que je me fusse adonné au jeu, et que je n’eusse pas adopté un mode plus régu-