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rien au monde, pas même le désir du duc, ne me déciderait à y persévérer.

La comtesse Ida pleura presque en entendant ces paroles de M. de Magny, et elle eut des larmes dans les yeux, dit-il, en lui prenant la main pour la première fois, et en le remerciant de la délicatesse de cette démarche. Elle savait peu que le Français était incapable de cette sorte de délicatesse, et que la gracieuse manière dont il se retirait était de mon invention.

Aussitôt qu’il se fut retiré, ce fut à moi de me mettre en avant, mais prudemment et doucement, de façon à ne point alarmer la dame, et cependant avec fermeté, de façon à la convaincre de l’impossibilité de s’unir avec son piètre amoureux, le sous-lieutenant. La princesse Olivia fut assez bonne pour exécuter en ma faveur cette partie nécessaire du plan, et pour avertir solennellement la comtesse Ida que, bien que M. de Magny se fût désisté de ses prétentions sur elle, son auguste tuteur n’en voudrait pas moins la marier comme il le jugerait convenable, et qu’elle devait oublier à jamais son amoureux aux coudes percés. Au fait, je ne puis concevoir comment un si piètre drôle avait jamais eu l’audace de se proposer pour elle : sa naissance, assurément, était bonne ; mais quels autres titres avait-il ?

Quand le chevalier de Magny se retira, nombre d’autres prétendants, vous pouvez bien le penser, se présentèrent ; et parmi eux votre très-humble serviteur, le cadet de Ballybarry. Il y eut à cette époque un carrousel, à l’imitation des anciens tournois de la chevalerie, dans lequel les chevaliers joutaient l’un contre l’autre à la lance ou couraient la bague ; et en cette occasion j’étais revêtu d’un magnifique costume romain (à savoir : un casque d’argent, une perruque flottante, une cuirasse de cuir doré, richement brodée, un manteau de velours bleu de ciel, et des bottines de maroquin cramoisi), et sous cet habit je montai mon cheval bai Brian, et enlevai trois bagues, et remportai le prix sur toute la noblesse du duché et des pays voisins, qui était venue à la fête. Une couronne de laurier doré devait être le prix du vainqueur, et elle devait être décernée par la dame qu’il choisirait. Je galopai donc vers la galerie où la comtesse Ida était assise derrière la princesse héréditaire, et prononçant son nom avec force, mais avec grâce, je demandai qu’il me fût permis d’être couronné par elle, et me proclamai ainsi, à la face de toute l’Allemagne, pour ainsi dire, son prétendant. Elle devint très-pâle, et la princesse très-rouge, à ce que je remarquai ; mais la comtesse Ida finit par me couronner ; après quoi, en-