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— Il ne pourra pas payer un shilling, répliquai-je. Les juifs n’escompteront pas ses billets à cent pour cent.

— Tant mieux ; vous verrez que nous en tirerons parti, » répondit le vieux gentilhomme ; et je dois avouer que le plan qu’il développa était charmant, habile et loyal.

Je devais faire jouer Magny ; à cela, il n’y avait pas grande difficulté : nous étions intimes ensemble, car il était aussi bon chasseur que moi, et nous nous étions pris d’amitié l’un pour l’autre, et s’il voyait un cornet, il était impossible de l’empêcher de mettre la main dessus : il y allait aussi naturellement qu’un enfant à des sucreries.

Au commencement il me gagna, puis il se mit à perdre ; alors je lui jouai de l’argent contre des bijoux qu’il apporta, des joyaux de famille, disait-il, et vraiment d’une valeur considérable. Il me demanda toutefois de n’en pas disposer dans le duché, et je lui donnai et tins ma parole à cet effet. Des bijoux, il en vint à jouer sur billets, et comme on ne lui permettait pas de jouer à la cour et en public à crédit, il était enchanté d’avoir une occasion de satisfaire à crédit sa passion favorite. Je l’ai eu pendant des heures à mon pavillon (que j’avais décoré à la mode orientale, très-splendidement), secouant les dés jusqu’à l’heure de son service à la cour, et nous passions jour sur jour de cette manière. Il m’apporta d’autres bijoux : un collier de perles, une broche ancienne en émeraude et autres joyaux en compensation de ces pertes, car je n’ai pas besoin de dire que je n’aurais pas joué avec lui tout ce temps s’il avait gagné ; mais au bout d’une semaine environ, la chance tourna contre lui, et il devint mon débiteur pour une somme prodigieuse ; je ne me soucie pas d’en dire le chiffre ; elle était telle, que je ne pensais pas qu’un jeune homme pût jamais la payer.

Pourquoi donc l’avoir jouée ? pourquoi perdre les journées à jouer tête à tête avec un insolvable, quand il y avait une besogne bien plus profitable à faire ailleurs ? Mon motif, je le confesse hardiment ; je voulais gagner à M. de Magny, non pas son argent, mais sa future, la comtesse Ida. Qui peut dire que je n’avais pas le droit d’user de toute espèce de stratagèmes dans cette affaire d’amour ? Ou plutôt, pourquoi dire amour ? J’en voulais aux richesses de la demoiselle ; je l’aimais tout autant que l’aimait Magny ; je l’aimais tout autant que cette pudibonde vierge de dix-sept ans aime un vieux lord de soixante-dix qu’elle épouse. Je suivais la pratique du monde en ceci, résolu que j’étais à assurer ma fortune par ce mariage.

J’avais coutume de me faire donner par Magny, après ses