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le digne Mick payait leurs gages, ce qui était beaucoup plus qu’il ne faisait pour ses propres domestiques, s’efforçant de tout son pouvoir de procurer à sa sœur tout le bien-être que pouvait se permettre une affligée. Maman, en retour, arrêta que, lorsque ses affaires seraient arrangées, elle allouerait à son bon frère une belle somme pour l’entretien de son fils et le sien, et promit de faire venir son riche mobilier de Clarges-Street pour orner les chambres un peu délabrées du château de Brady. Mais il advint que le coquin de propriétaire saisit toutes les chaises et tables qui devaient de droit appartenir à la veuve. Le bien dont j’étais héritier était aux mains de créanciers rapaces ; et le seul moyen de subsistance qui restât à l’enfant était une rente de cinquante livres sur la propriété de mylord Bagwig, qui avait fait plusieurs affaires de turf avec le défunt. Et ainsi les libérales intentions de ma chère mère à l’égard de son frère ne furent, comme de raison, jamais remplies.

Il faut avouer, et cela fait fort peu d’honneur à mistress Brady, de Castle Brady, que lorsque la pauvreté de sa belle-sœur fut ainsi dévoilée, elle oublia tous les égards qu’elle avait coutume de lui témoigner, mit à la porte mes domestiques mâle et femelle, et dit à mistress Barry qu’elle pouvait les suivre aussitôt qu’elle voudrait. Mistress Mick était d’une famille de bas étage, et avait des sentiments sordides : après une couple d’années (durant lesquelles elle avait économisé presque tout son petit revenu), la veuve se rendit au désir de mistress Brady. En même temps, cédant à un ressentiment fort juste, mais prudemment diminué, elle fit vœu de ne jamais repasser la porte du château de Brady, tant qu’en vivrait la maîtresse.

Elle meubla sa nouvelle demeure avec beaucoup d’économie et considérablement de goût ; et jamais, malgré toute sa pauvreté, elle ne rabattit rien de la considération qui lui était due, et que tout le voisinage lui accordait. Comment, en effet, refuser du respect à une dame qui avait vécu à Londres, qui y avait fréquenté la société la plus fashionable, et avait été présentée (comme elle le déclara solennellement) à la cour ? Ces avantages lui donnaient un droit qui paraît être exercé en Irlande sans beaucoup de retenue par les gens du pays qui le possèdent : le droit de regarder avec mépris toute personne qui n’a pas eu l’occasion de quitter la mère patrie et d’habiter quelque temps l’Angleterre. Ainsi toutes les fois que mistress Brady se montrait dans une nouvelle toilette, sa belle-sœur disait : « Pauvre créature ! comment peut-on s’attendre à ce qu’elle connaisse rien de la mode ? » Et quoique satisfaite, comme elle l’était, d’être ap-