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compagnons. Il s’était presque ruiné au jeu, comme son père avant lui ; car, échappés à la surveillance du sévère vieux baron en Allemagne, le fils et le petit-fils avaient mené la vie la plus désordonnée. Il revint de Paris bientôt après l’ambassade qui y avait été envoyée à l’occasion du mariage de la princesse, fut mal reçu par son grand-père qui, néanmoins, paya ses dettes encore une fois, et lui procura cette position dans la maison du duc. Le chevalier de Magny devint un grand favori de son auguste maître ; il rapportait les modes et les gaietés de Paris ; il était l’ordonnateur de tous les bals et mascarades, le recruteur de tous les danseurs de ballets, et de beaucoup le plus brillant et le plus magnifique jeune seigneur de la cour.

Après que nous eûmes été quelques semaines à Ludwigslust, le vieux baron de Magny essaya de nous faire renvoyer du duché ; mais sa voix ne fut pas assez forte pour étouffer celle du public, et le chevalier de Magny particulièrement se déclara pour nous auprès de Son Altesse quand la question fut débattue devant elle. Le chevalier n’avait point perdu son amour du jeu. Il fréquentait régulièrement notre banque, où il joua pendant quelque temps avec assez de bonheur, et où, lorsqu’il commença à perdre, il paya avec une ponctualité surprenante pour tous ceux qui connaissaient la modicité de ses ressources et la splendeur du train qu’il menait.

S. A. la princesse Olivia aimait aussi beaucoup le jeu. Dans la demi-douzaine de fois que nous tînmes une banque à la cour, je pus remarquer sa passion. Je pus voir, — c’est-à-dire, mon vieil oncle, toujours de sang-froid, put voir — bien davantage. Il y avait des intelligences entre M. de Magny et cette illustre dame.

« Si Son Altesse n’est pas amoureuse du petit Français, me dit mon oncle un soir après le jeu, que je perde mon dernier œil !

— Et après, monsieur ? lui dis-je.

— Après ! reprit mon oncle en me regardant fixement ; êtes-vous assez innocent pour ne pas pouvoir répondre vous-même à cet après ? Votre fortune est faite, si vous voulez y aider, et nous pouvons ravoir les terres de Barry dans deux ans, mon garçon.

— Comment cela ? » demandai-je m’y perdant toujours.

Mon oncle dit sèchement :

« Poussez Magny à jouer ; ne vous occupez pas de savoir s’il payera ; acceptez ses billets. Plus il devra, mieux ce sera ; mais, par-dessus tout, faites-le jouer.