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alors en guerre (ce commerce militaire était une partie principale des revenus de Son Altesse, et autres princes en ce temps-là), et leur liaison fut ainsi brusquement brisée.

Il était étrange que la princesse Olivia eût pris ce parti contre une jeune personne qui avait été sa favorite : car d’abord, avec ces idées romanesques et sentimentales qu’ont presque toutes les femmes, elle avait en quelque sorte encouragé la comtesse Ida et son amant sans le sou ; mais maintenant elle se tourna subitement contre eux, et après avoir aimé la comtesse comme elle avait fait, elle la poursuivit de sa haine avec cet art ingénieux qui n’appartient qu’aux femmes : il n’y eut pas de bornes au raffinement de ses tortures, au venin de sa langue, à l’amertume de ses sarcasmes et de ses dédains. Quand j’arrivai à la cour de X…, les jeunes gens y avaient surnommé cette jeune personne la Dumme Gräfinn, la stupide comtesse. Elle était généralement silencieuse, belle, mais pâle, l’air bête et gauche, ne prenant aucun intérêt aux amusements du lieu, et paraissant au milieu des festins aussi refrognée que la tête de mort que les Romains, dit-on, avaient coutume de placer sur leurs tables.

Le bruit courut qu’un jeune gentilhomme d’extraction française, le chevalier de Magny, écuyer du duc régnant, et présent à Paris quand la princesse Olivia y avait été mariée par procuration, était le futur destiné à la riche comtesse Ida ; mais il n’avait été fait encore aucune déclaration officielle à cet égard ; on parlait tout bas d’une sombre intrigue, et ces propos reçurent plus tard une effrayante confirmation.

Le chevalier de Magny était le petit-fils d’un vieil officier général au service du duc, le baron de Magny. Le père du baron avait quitté la France lors de l’expulsion des protestants, à la révocation de l’édit de Nantes, et pris du service à X…, où il était mort. Son fils lui succéda ; tout à fait différent de la plupart des gentilshommes français que j’ai connus, c’était un sévère et froid calviniste, rigide dans l’accomplissement de son devoir, réservé de manières, fréquentant peu la cour, et ami intime et favori du duc Victor auquel il ressemblait de caractère.

Le chevalier, son petit-fils, était un véritable Français ; il était né en France, où son père occupait un poste diplomatique au service du duc. Il s’était mêlé à la gaie société de la plus brillante cour du monde, et avait des histoires sans fin à nous faire des plaisirs des petites maisons, des secrets du Parc aux cerfs, et de toutes les joyeuses folies de Richelieu et de ses