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jeune fille qui s’était enfuie dans un couvent, juste comme elle allait tomber dans mes bras ; une autre fois, une riche veuve des Pays-Bas était sur le point de me faire maître et seigneur d’un noble domaine en Flandre, quand arrive un ordre de la police qui me donne une heure pour sortir de Bruxelles, et consigne mon éplorée dans son château. Mais à X…, j’eus l’occasion de jouer une belle partie, et je l’aurais gagnée, qui plus est, sans la terrible catastrophe qui renversa ma fortune.

Dans la maison de la princesse héréditaire, était une demoiselle de dix-neuf ans, qui possédait la plus grande fortune de tout le duché. La comtesse Ida, tel était son nom, était fille d’un ancien ministre et favorite de S. A. le duc de X… et de la duchesse, qui lui avaient fait l’honneur d’être ses parrains, et qui, à la mort de son père, l’avaient prise sous leur auguste tutelle et protection. À seize ans elle avait été amenée de son château, où, jusqu’à cette époque, on lui avait permis de résider, et avait été placée auprès de la princesse Olivia, en qualité de fille d’honneur.

La tante de la comtesse Ida, qui dirigeait sa maison pendant sa minorité, l’avait follement laissée contracter un attachement pour son cousin germain, sous-lieutenant sans le sou dans un des régiments d’infanterie du duc, et qui s’était flatté d’enlever ce riche butin ; et s’il n’avait pas été un véritable idiot, en effet, ayant l’avantage de la voir constamment, de n’avoir aucun rival près de lui, et avec l’intimité qu’autorisait leur parenté, il aurait pu, par un mariage secret, s’assurer de la jeune comtesse et de ses possessions. Mais il s’y prit si bêtement, qu’il lui permit de quitter sa retraite, de venir pour un an à la cour, et d’entrer dans la maison de la princesse Olivia ; et alors que fait mon jeune gentilhomme ? Un beau jour il paraît au lever du duc, avec ses épaulettes ternies et son habit râpé, et il demande en forme à Son Altesse, comme au tuteur de la jeune personne, la main de la plus riche héritière de ses États !

La faiblesse de ce brave prince était telle que, comme la comtesse Ida elle-même était aussi engouée de cette union que son niais de cousin, Son Altesse aurait peut-être fini par la permettre, si la princesse Olivia n’eût été amenée à intervenir, et à obtenir du duc un veto péremptoire aux espérances du jeune homme. La cause de ce refus était encore inconnue, il n’était question d’aucun autre prétendant à la main de la jeune personne, et les amants continuaient à correspondre, quand, tout à coup, le lieutenant fut dirigé sur un des régiments que le prince était dans l’habitude de vendre aux grandes puissances