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de Zitwitz et de Heukel de Donnersmark. Comme le chevalier passait devant Sa Majesté, le roi leva son chapeau et dit en français :

« Qu’il ne descende pas ; je lui souhaite un bon voyage. »

Le chevalier de Balibari reconnut cette courtoisie par un profond salut.

Ils n’étaient pas beaucoup au delà de Potsdam, quand, boum ! le canon d’alarme commença à tonner.

« C’est un déserteur ! dit l’officier.

— Est-il possible ! » dit le chevalier, et il se renfonça dans sa voiture.

Au bruit du canon, les hommes du peuple sortirent le long de la route avec des fusils et des fourches, dans l’espoir d’attraper le fuyard. Les gendarmes avaient l’air fort désireux de le dépister. Le prix d’un déserteur était de cinquante écus pour ceux qui les ramenaient.

« Avouez, monsieur, dit le chevalier à l’officier de police qui était dans la voiture avec lui, que vous mourez d’envie d’être débarrassé de moi, dont vous ne pouvez rien tirer, et de pouvoir vous mettre à la recherche du déserteur, qui peut vous rapporter cinquante écus. Que ne dites-vous au postillon de presser le pas ? Vous pourrez me déposer à la frontière et revenir à votre chasse d’autant plus vite. »

L’officier dit au postillon d’avancer, mais le chemin semblait d’une longueur insupportable au chevalier. Une ou deux fois, il crut entendre le bruit d’un cheval au galop par derrière ; ses propres chevaux ne semblaient pas faire deux milles à l’heure, mais ils les faisaient. Enfin, ils arrivèrent en vue des barrières noires et blanches, tout près de Brück, et en face étaient celles vertes et jaunes de la Saxe. Les douaniers saxons sortirent.

« Je n’ai aucun bagage, dit le chevalier.

— Monsieur n’a point de contrebande, » dirent en ricanant les gendarmes prussiens, et ils prirent congé de leur prisonnier avec beaucoup de respect.

Le chevalier de Balibari leur donna à chacun un frédéric.

« Messieurs, dit-il, je vous souhaite le bonjour. Voulez-vous bien aller à la maison d’où nous sommes partis ce matin, et dire à mon domestique d’envoyer mon bagage aux Trois-Rois, à Dresden ? »

Puis, ordonnant des chevaux frais, le chevalier se mit en route pour cette capitale.