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tant d’anxiété, et quelque chose me disant que ce chevalier de Balibari n’était autre que Barry de Ballybarry, le frère aîné de mon père, qui avait abandonné ses biens par suite de son attachement obstiné à la superstition de Rome. Avant de me présenter à lui, j’allai dans les remises regarder son carrosse. Avait-il les armes des Barry ? Oui, elles y étaient, d’argent à la bande de gueules accompagnée de quatre coquilles, les anciennes armoiries de ma maison. Elles étaient peintes sur une brillante voiture magnifiquement dorée, dans un écu environ aussi grand que mon chapeau, surmonté d’une couronne et ayant pour supports huit ou neuf Cupidons, cornes d’abondance et corbeilles de fleurs, suivant l’étrange mode héraldique de cette époque. Ce devait être lui ! Je me sentis défaillir en montant l’escalier. J’allais me présenter à mon oncle en qualité de domestique !

« Vous êtes le jeune homme que M. de Seebach a recommandé ? »

Je saluai et lui présentai une lettre de ce gentilhomme, dont mon capitaine avait eu soin de me munir. Pendant qu’il la regardait, j’eus le loisir de l’examiner. Mon oncle était un homme de soixante ans, magnifiquement vêtu, habit et culottes de velours abricot, veste de satin blanc brodée d’or comme l’habit. Il portait le cordon violet de son ordre de l’Éperon, et le crachat de l’ordre, un crachat énorme, étincelait sur sa poitrine. Il avait des bagues à tous les doigts, une couple de montres dans ses goussets, un superbe solitaire sur le ruban noir qui entourait son cou et était attaché à la bourse de sa perruque ; ses manchettes et son jabot étalaient une profusion de dentelles des plus riches. Il avait des bas de soie rose roulés au-dessus du genou et attachés avec des jarretières d’or, et d’énormes boucles en diamant à ses souliers à talons rouges. Une épée à monture d’or et à fourreau de chagrin blanc, et un chapeau richement galonné et garni de plumes blanches, qui étaient posés sur la table à côté de lui, complétaient le costume de ce splendide gentilhomme. Il avait à peu près ma taille, c’est-à-dire cinq pieds six pouces et demi ; ses traits étaient singulièrement pareils aux miens et extrêmement distingués ; un de ses yeux, toutefois, était caché par un morceau de taffetas noir ; il avait un peu de blanc et de rouge, ornement qui n’était nullement rare en ce temps-là, et une paire de moustaches qui tombait par-dessus sa lèvre et cachait une bouche que je trouvai plus tard avoir une expression assez désagréable. Quand il écartait sa moustache, on voyait que les dents d’en haut avançaient beaucoup ; et sur son