amis et de nos parents. Nous étions côte à côte dans les joies de la danse et du festin, mais toujours étrangers l’un à l’autre ; il semblait que tout fût fini entre nous : enfin arriva le 4 juin de l’an dernier.
C’était chez sir George Golloper : il était placé à la droite, votre humble serviteur à la gauche de la ravissante lady Golloper. Des pois figuraient sur la table : c’était, je m’en souviens, autour de jeunes canetons. Un frisson parcourut tous mes membres quand je vis servir Marrowfat ; je détournai la tête, le cœur tout malade, craignant de voir le terrible couteau disparaître sous ses affreuses maxillaires.
Ô surprise, ô bonheur ! mon homme se servit de sa fourchette de la façon la plus catholique. Il laissa reposer sur la nappe l’acier tranchant qui nous avait jadis brouillés. Les vieux souvenirs se pressèrent alors en foule dans mon esprit ; je me rappelai ses anciens services, notre aventure avec les brigands, sa conduite de galant homme dans l’affaire de la comtesse Dei Spinachi, le prêt qu’il m’avait fait de 1700 livres. Je fus sur le point d’éclater en larmes de joie, et d’une voix tremblante d’émotion :
« George, mon garçon ! m’écriai-je, George Marrowfat, mon cher ami, un verre de vin ! »
La rougeur le gagna, e , remué jusqu’au fond des entrailles, George me répondit d’une voix presque aussi tremblante que la mienne :
« Eh bien, Franck, que voulez-vous ? du johanisberg ou du madère ? »
Je l’eusse pressé sur mon cœur si nous n’avions été en si nombreuse compagnie. Lady Golloper ne se doutait guère du motif de l’émotion qui envoya le canard que j’étais en train de découper se promener sur sa robe de satin rose. Cette excellente femme me pardonna ma maladresse, et le maître d’hôtel emporta l’oiseau.
Depuis lors nous fûmes avec George les meilleurs amis du monde. Il s’était à jamais, corrigé de cette détestable habitude qu’il avait contractée dans une pension de campagne où l’on cultivait les petits pois, et où l’on ne mangeait qu’avec des fourchettes à deux pointes. Un long séjour