Page:Thackeray - Le Livre des snobs.djvu/133

Cette page n’a pas encore été corrigée

c’était un turbot et des huîtres qui formaient une bourriche des plus respectables.

La campagne de Ponto, ou Evergreens, comme l’a baptisée mistress Ponto, est un véritable paradis terrestre. Ce ne sont que plantes grimpantes, allées de verdure et cabanes rustiques. La maison s’élève au milieu d’une pelouse gracieusement ondulée, qui fuit à travers mille corbeilles de fleurs du plus merveilleux coup d’œil. Les allées se déroulent, en rubans de sable, à travers des bosquets de myrtes au sombre et brillant feuillage et de lauriers-roses qui lui ont valu son nouveau nom. On l’appelait le chalet du Petit-Bullock, du temps du vieux père Ponto. De la chambre à coucher où Ponto me conduisit, j’avais vue sur le jardin, la basse-cour, le village et l’église ; au delà, un grand parc s’étendait jusqu’à l’horizon. Ma chambre, tendue de jaune, avait l’air d’un reposoir des plus frais et des plus joyeux. Un énorme bouquet, placé sur le secrétaire, y répandait ses suaves parfums ; les draps conservaient encore l’odeur de la lavande avec laquelle ils avaient été enfermés ; les rideaux de perse et le large sofa, s’ils ne mêlaient pas la senteur de leurs bouquets aux arômes qui remplissaient déjà la chambre, semblaient du moins un parterre aux yeux ; l’essuie-plume placé sur la table représentait un dahlia double, et un immense tournesol en bois sculpté, disposé en- manière de pendule, devait me servir de portemontre. Une vigne vierge aux feuilles écarlates grimpait le long de ma croisée et tamisait en poudre d’or les derniers rayons du soleil couchant. Tout était frais et fleuri. Quelle différence avec ces noires girouettes de la place de Saint-Alban, à Londres, seuls objets sur lesquels puissent se reposer ces pauvres yeux fatigués par le travail !

« Mais c’est ici le bonheur sur terre, dis-je à Ponto, en me laissant aller sur une moelleuse bergère, tandis que je m’enivrais doucement des délicieux arômes qui nous arrivaient par bouffées de la campagne, et que n’égaleront jamais les essences concentrées que M. Atkinson prépare pour les mouchoirs de nos belles ladies.

— C’est gentil, n’est-ce pas ? me répondit Ponto. Pas