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nagements possibles, que tout était fini entre nous, et que des faits regrettables, mais qui ne portaient en aucune manière atteinte à l’honneur de M. Marrowfat et à la considération que j’avais pour lui, m’obligeaient à renoncer à l’intimité qui s’était établie entre nous. En conséquence, nous étant rencontrés ce soir-là même au bal de la duchesse de Montefiasco, nous prîmes mutuellement congé l’un de l’autre.

Il ne fut bruit à Naples que de cette séparation de Damon et de Pythias ; Marrowfat m’avait plus d’une fois sauvé la vie : mais, en bonne conscience, qu’eût fait à ma place tout gentleman anglais ?

Cet excellent ami, en cette circonstance, avait agi en Snob relatif. Les personnes du plus haut rang chez tous les autres peuples pourront se servir de leur couteau de la façon dont je viens de parler, sans pour cela encourir le reproche de Snobisme. Montefiasco ne manquait jamais de gratter son assiette avec son couteau, et tous les autres princes de la même société d’en faire autant. J’ai vu à la table hospitalière de S.A.I. la grande-duchesse Stéphanie de Bade, qui est priée, si jamais ces humbles lignes viennent à frapper sa rétine impériale, de conserver un gracieux souvenir au plus dévoué de ses serviteurs ; j’ai vu, dis-je, la princesse héréditaire de Potztausend-Donnerverter, cette femme d’une beauté si pure, se servir de son couteau en guise de fourchette et de cuiller ; je l’ai vue prête à l’avaler, j’en atteste Jupin, ni plus ni moins que ce jongleur indien qui dévore des sabres. M’a-t-on vu sourciller ? Ma considération pour la princesse en a-t-elle diminué ? Non ! aimable Amalia. Jamais passion n’a été plus respectueuse et plus sincère que celle que cette dame a jetée dans mon cœur. Qu’elle était belle ! Puisse longtemps, bien longtemps encore, son couteau porter sa nourriture à ses lèvres, les plus roses et les plus souriantes que j’aie vues sur terre !

La cause de ma querelle avec Marrowfat resta ensevelie au fond de mon âme pendant quatre années entières. Nous nous rencontrions dans les palais aristocratiques de nos