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C’était aux eaux de Bagnigge-Wells, à l’hôtel Impérial ; je me trouvai avoir pour vis-à-vis, à déjeuner, un Snob d’une espèce si insupportable, que je sentis tout de suite que je n’aurais aucun bon effet à attendre des eaux aussi long-temps, qu’il prolongerait son séjour dans cet endroit. Il s’appelait Snobley, lieutenant-colonel de je ne sais quel régiment de dragons. Il portait des bottes et des moustaches où l’on aurait pu se mirer, mangeait ses mots, traînait ses phrases, et laissait au commun des martyrs le soin de prononcer les r ; il ne se lassait point de faire la roue, et, lustrant ses moustaches au moyen d’un énorme bâton de cosmétique, il répandait dans la chambre une odeur de musc tellement suffocante, que je pris la résolution d’en venir aux dernières extrémités avec ce Snob, afin que l’un de nous deux fût forcé de quitter l’hôtel. Je débutai d’abord par des sujets insignifiants ; ce qui le dérouta complètement, ne sachant s’il devait rire ou se fâcher de cette attaque imprévue ; en effet, il ne lui était pas venu à l’esprit qu’un simple mortel pût se mettre à son aise avec lui au point d’oser lui adresser le premier la parole. Ensuite je lui passai familièrement le journal ; puis, comme il persistait à ne tenir aucun compte de mes avances, je me pris à le regarder en face, tout en faisant usage de ma fourchette, savez-vous comment ?… en guise de cure-dent. Je répétai ce manège deux jours de suite ; le colonel ne put y tenir plus longtemps : le troisième jour, il était parti avec armes et bagages.

Si ces lignes viennent à tomber sous les yeux du colonel, daignera-t-il se rappeler le gentleman qui se permettait de le questionner sur ses opinions littéraires, et qui le força de battre en retraite devant une fourchette à quatre dents ?