Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comment le monsieur asthmatique et la vieille précieuse qui jurait à tout propos sur son honneur, qu’auparavant elle n’avait jamais voyagé en voiture publique (il y avait toujours quelqu’une de ces dames dans les voitures publiques du temps, hélas ! où elles existaient encore, car où sont-elles passées aujourd’hui ?) et la grosse veuve avec sa bouteille de brandy prirent successivement leur place sur les banquettes de l’intérieur ;

Comment le conducteur leur demanda à tous de l’argent et recueillit six sous du monsieur asthmatique et cinq liards crasseux de la grosse veuve ;

Comment la voiture se mit enfin en route et traversa les sombres ruelles d’Aldersgate, fit trembler en passant les vitraux de Saint-Paul, franchit avec rapidité l’entrée des étrangers à Fleet-Market qui, avec Exeter-Change, appartient désormais au monde des souvenirs ;

Comment on passa l’Ours blanc de Piccadilly, tandis qu’on voyait flotter un voile de brouillard sur les jardins de Knights-Bridge ;

Comment on laissa derrière soi Turnham-Green, Brentford et Bagshot ;

Il n’est pas besoin de le dire ici.

Celui qui écrit ses lignes ayant, dans ses jeunes années, parcouru cette route enchanteresse par une radieuse et belle matinée, y ramène sa pensée avec un sentiment de regret et de plaisir. Où est-elle maintenant cette route avec le plaisant chapitre des accidents de voyage ? Il n’y a plus de Chelsea ou de Greenwich pour les vieux et honnêtes cochers à la trogne rougie ? Où sont-ils passés, je le demande, tous ces joyeux compagnons ? Le vieux Welder est-il vivant ou mort ? Et les garçons d’auberge avec leurs hôtels où l’on vous offrait le bœuf froid servi à la hâte ? Et ce palefrenier stupide avec son nez bleu et gelé, son seau à l’anse criarde, où a-t-il passé ? où sont ses descendants ? Pour tous ces grands génies en jupons qui écrivent des nouvelles à l’intention des enfants de notre bien-aimé lecteur, ces hommes et ces choses passeront à l’état de légende, comme l’histoire de Ninive, de Cœur-de-Lion ou de Jean-Paul Chopart. Pour eux, la diligence va usurper la place des châteaux enchantés ; un attelage de quatre chevaux bais ne prêtera pas moins au merveilleux que Bucéphale et l’Hippo-