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tage si bien éclairé ; ces sombres allées si favorables à l’entrevue des jeunes amants ; les pots de porter présentés par des hommes en livrée vieille et râpée, et ces cabinets tout resplendissants où l’on sert aux joyeux convives des tranches de jambon presque invisibles : rien de tout cela ne provoquait la moindre curiosité de la part du capitaine William Dobbin.

Il promenait de tous côtés le châle de cachemire blanc d’Amélia, et s’était arrêté devant l’estrade des musiciens pendant que mistress Salmon exécutait la bataille de Borodino, cantate guerrière, composée contre l’aventurier corse, qui venait d’éprouver dernièrement des revers contre les Russes. M. Dobbin essaya de fredonner, en s’éloignant, l’air qu’Amélia Sedley avait chanté dans l’escalier en venant se mettre à table. Il se mit à rire de lui-même, car, en vérité, il chantait bien comme un hibou.

Il est bien entendu que nos jeunes gens, ainsi divisés deux par deux, se firent les plus solennelles promesses de rester ensemble toute la soirée ; mais, au bout de dix minutes, ils se trouvaient déjà séparés. Les sociétés se perdent au Vauxhall, mais c’est pour se retrouver au souper, pour se raconter leurs aventures depuis le moment où elles se sont quittées.

Quelles furent les aventures de M. Osborne et de miss Amélia ? Cela est un secret. Mais soyez assurés qu’ils furent parfaitement heureux et irréprochables dans leur conduite, et, comme ils avaient eu de nombreuses occasions de se voir depuis quinze ans, leur tête-à-tête n’offrait rien de bien particulier ni de bien nouveau.

Mais quand Rebecca et son vaillant cavalier se furent perdus dans une promenade solitaire où ils ne rencontrèrent guère plus d’une soixantaine de couples errant de la même façon, ils sentirent tous deux combien leur position devenait délicate et critique, et miss Sharp pensa que c’était maintenant ou jamais le moment de provoquer cette déclaration qui venait expirer sur les lèvres timides de M. Sedley.

Ils avaient d’abord été au panorama de Moscou, où un gros lourdaud avait écrasé le pied de miss Sharp ; elle en était presque tombée à la renverse, en poussant un cri de douleur, dans les bras de M. Sedley. Ce petit accident avait accru la tendresse et la confiance de notre héros à un tel point qu’il lui avait ra-