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Un léger ronflement fut la seule réponse. L’honnête agent de change s’était endormi, et l’histoire de Joseph fut perdue pour ce jour-là. Heureusement qu’il était très-communicatif dans les réunions d’hommes, et qu’il a répété ce conte délicieux à plus de cent reprises à son apothicaire, le docteur Gollop, quand celui-ci venait s’informer de son foie et de ses pilules.

À cause de sa mauvaise santé, Joseph Sedley se contenta d’une bouteille de bordeaux après son madère, puis dépêcha deux assiettées de fraises et de crème et vingt-quatre gâteaux qu’on avait laissés dans une assiette auprès de lui. Nous pouvons assurer de plus, car les nouvellistes ont le privilége de tout savoir, qu’il pensa beaucoup aux jeunes filles qui étaient à l’étage au-dessus. « C’est, ma foi, une vive, aimable et gentille créature, pensa-t-il en lui-même. Comme elle me regardait quand je lui ai ramassé son mouchoir à dîner ! Elle l’a laissé tomber deux fois. Qui est-ce qui chante maintenant au salon ? Je vais aller voir. »

Mais sa timidité vint encore l’arrêter avec une force insurmontable. Son père était endormi. Son chapeau se trouvait dans la pièce. Il y avait là un fiacre tout prêt à partir pour Southampton-Row.

« Je vais aller voir les Quarante voleurs, dit-il, et les nouveaux pas de miss Decamp. »

Et, sur cela, il s’esquiva tout doucement sur la pointe des pieds, sans réveiller son digne père.

« Voilà Joseph qui sort, dit Amélia à la fenêtre du salon, pendant que Rebecca chantait au piano.

— Miss Sharp lui a fait peur, dit mistress Sedley, pauvre Joe, sera-t-il donc toujours aussi timide ? »