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parle, seulement ? Voyons, Amélia, une fois pour toutes, oui ou non, voulez-vous venir ?

— Sans mon mari, Joseph, » fit Amélia avec un regard de surprise, et en même temps elle tendit la main à la femme du major.

La patience de Joe était à bout :

« Eh bien ! alors, bonsoir ! » s’écria-t-il en brandissant son poing avec colère et tirant violemment la porte par laquelle il venait de sortir.

Une minute plus tard, Joe était en selle, et mistress O’Dowd entendait le piétinement des chevaux qui franchissaient la porte de l’hôtel. Elle alla à la fenêtre pour voir passer M. Joe, escorté d’Isidore en chapeau galonné. Les deux montures, qui n’étaient pas sorties depuis plusieurs jours, se livraient à des pointes de gaieté et faisaient toutes sortes de courbettes dans la rue. Joe, naturellement gauche et timide, avait toutes les peines du monde à se tenir en équilibre.

« Regardez-le donc, Amélia ma chère, bon, le voilà qui va entrer par la fenêtre du salon. Je n’ai jamais vu pareil magot dans les boutiques de chinoiseries. »

Enfin les deux cavaliers s’élancèrent au galop dans la direction de Gand. Mistress O’Dowd les accompagna des railleries les plus méprisantes tant qu’elle put les apercevoir.

Nous connaissons tous par des ouï-dire ou par nos lectures le choc terrible qui, pendant ce temps, avait lieu à quelques heures de Bruxelles. Le souvenir de cette fameuse journée est resté gravé dans le cœur de tous les braves soldats qui, vainqueurs ou vaincus, prirent part à cette grande bataille. Faudra-t-il qu’une nouvelle lutte donnant la victoire à ceux qui pleurent encore leur défaite, fasse succéder nos enfants à un héritage maudit de haine et de vengeance ? Faudra-t-il ne voir jamais terminer ces massacres dans lesquels deux nations généreuses arrosent les champs de bataille du plus pur de leur sang ? Depuis tant de siècles de lutte et d’égorgement, Anglais et Français n’ont-ils pas payé assez chèrement leur tribut à ce qu’on appelle le code de l’honneur.

Tous nos amis se conduisirent en hommes de cœur dans cette grande journée. Tandis que les femmes agenouillées priaient loin du champ de bataille, les lignes inébranlables d’infanterie anglaises essuyaient et repoussaient les charges furieuses des