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aucun capitaine ne semblait pouvoir se mesurer avec chance de succès.

En présence de ces réflexions qui se pressaient dans son esprit, Joe ne trouvait d’autre ressource que de trembler de tous ses membres. Du reste, tout le monde en était là à Bruxelles, car chacun comprenait que le combat de la veille n’était que le prélude d’une bataille inévitable et plus terrible encore. Déjà l’empereur avait fait subir un échec à l’armée qu’il avait trouvée sur son chemin. Il lui en coûterait à peine un effort pour passer sur le corps de quelques Anglais qui le séparaient de Bruxelles. Malheur alors à ceux qu’il y trouverait ! On rédigeait d’avance les discours ; les autorités s’étaient réunies pour discuter en secret le cérémonial à observer. On préparait les appartements, les drapeaux tricolores, les emblèmes de triomphe pour l’entrée de Sa Majesté l’Empereur et Roi.

L’émigration continuait de plus belle : dès qu’on avait trouvé des moyens de transport, on suivait le mouvement général. Quand Joe se présenta dans l’après-midi à l’hôtel de Rebecca, il remarque que la voiture des Bareacres avait enfin débarrassé la porte cochère. Le comte s’était procuré une paire de chevaux à un prix fabuleux, et, en dépit de mistress Crawley, galopait maintenant sur la route de Gand. Louis XVIII était tout prêt lui-même à abandonner les murs de cette ville. Le malheur semblait s’acharner à poursuivre de pays en pays le royal exilé.

La pénétration de Joe allait jusqu’à prévoir l’imminence d’une crise finale. D’un moment à l’autre, il allait avoir besoin des chevaux qui lui coûtaient si cher. Cette journée se passa pour lui au milieu d’angoisses impossibles à dépeindre. Par précaution, il ramena ses chevaux des écuries où ils se trouvaient dans celles de son hôtel. Dans un cas urgent, cette distance eût été encore trop grande ; et, en outre, il les tenait ainsi à l’abri d’un enlèvement de vive force. Isidore faisait bonne garde à la porte de l’écurie. Les chevaux étaient tout sellés et tout prêts, ce qui n’empêchait pas Joe d’attendre la suite des événements avec la plus grande anxiété.

Après l’accueil de la veille, Rebecca n’était pas fort pressée de venir auprès de sa chère Amélia ; mais la femme la fit penser au mari et elle rafraîchit les queues du bouquet de George, en changea l’eau et relut sa lettre.