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« Qu’avez-vous, drôle ? demanda Jos en apostrophant son domestique. Allons, versez-nous à boire.

— N’entendez-vous pas ? dit Isidore en courant à la fenêtre.

— Dieu nous protége, s’écria mistress O’Dowd, c’est le canon. »

Elle s’élança à la suite d’Isidore comme pour se rapprocher du bruit.

Toutes les maisons étaient garnies de figures pâles et inquiètes, et les rues de la ville encombrées d’une foule morne et silencieuse.




CHAPITRE XXXII.

Où Joseph prend la fuite.


Bruxelles présentait alors des scènes de tumulte et d’effroi dont notre plume ne peut donner qu’une idée affaiblie. Des flots de peuple se précipitaient vers la porte de Namur, située dans la direction du bruit. La route était couverte de gens à cheval, qui allaient aux renseignements sur le sort de l’armée. On se demandait des nouvelles de proche en proche. Les plus gros seigneurs et les plus grandes dames de l’Angleterre ne faisaient aucune difficulté de parler au premier venu.

Les partisans de Napoléon couraient de côté et d’autre dans un état d’exaltation fébrile et prédisaient le triomphe de leur empereur. Les marchands fermaient précipitamment leurs boutiques pour prendre leur part des inquiétudes de la foule et grossir le tumulte. Les femmes se pressaient dans les églises, encombraient les chapelles et s’agenouillaient pour prier jusque sur les dalles du porche. Les sourds roulements du canon se succédaient de minute en minute. Des voitures chargées de fuyards sillonnaient la ville, se dirigeant vers la barrière de Gand. Déjà les prédictions du parti napoléonien prenaient la consistance de faits accomplis.

« Il a culbuté ses ennemis, disait-on, et il est en marche sur Bruxelles.

— En un tour de main il aura raison des Anglais, disait M. Isidore à son maître, et il arrivera ici ce soir. »